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Le climat, une bataille systémique entre la Chine et les Etats-Unis

par Élisabeth Martens, le 5 mai 2021

L’accord de Paris sur le climat signé en 2015 prévoit de limiter le réchauffement climatique à 2°C maximum par rapport à l’ère pré-industrielle. La Chine étant le premier émetteur mondial de gaz à effet de serre, ses efforts en matière de changement climatique sont essentiels. Cependant les États-Unis ne veulent pas se laisser dépasser par la Chine en ce qui concerne les énergies renouvelables et ont engagé la Chine dans un bras de fer économique, avec le climat comme enjeu.

Quels sont les pays les plus pollueurs au monde ?

Ce sont les pays les plus peuplés et les plus industrialisés qui apparaissent en haut du classement des pays les plus pollueurs au monde.

Les trois pays les plus gros émetteurs de CO2 sont :

 

 

Source : BP Statistical Review of World Energy 2020
Source : BP Statistical Review of World Energy 2020

 

Mais, selon la méthode de calcul utilisée, il existe différents types de classement des pays les plus pollueurs au monde : émissions de CO2, division par le nombre d’habitants, empreinte écologique, etc.

Si on établit un classement des pays les plus pollueurs au monde en tenant compte du nombre d'habitants, le graphique ci-dessus est bien différent. Par exemple, les trois pays les plus pollueurs par habitant sont situés dans la péninsule arabique, ce qui s’explique par la part importante de l’industrie pétrolière dans leur économie et par leur faible population.

La population des États-Unis en 2017 était de 325,1 millions d’habitants, celle de la Chine était de 1,386 milliard. La Chine comptait plus d'un milliard d'habitants en plus que les États-Unis. On s'attend donc au fait qu'en valeur absolue, elle pollue plus que les États-Unis. Mais en tenant compte du nombre d'habitants par pays, la Chine pollue environ trois fois moins que les États-Unis.

 

Source : Statistica
Source : Statistica

 

 

Les pays les plus pollueurs au monde sont encore différents si on tient compte, non pas du nombre d'habitants par pays, mais de leur empreinte écologique. L’empreinte écologique d’un pays correspond à la pression qu’exercent ses habitants sur la planète pour répondre à leurs besoins. Par exemple, l’empreinte écologique de Singapour est égale à 99,5 fois la biocapacité que son territoire lui permet (voir tableau ci-dessous).

Les statistiques dont le facteur déterminant est l'empreinte écologique indiquent qu'actuellement, pour subvenir aux besoins de tous les êtres humains, il faudrait 1,7 planète.

 

Source : Global Footprint Network
Source : Global Footprint Network

 

 

La Nature sauvage de l'Amérique

Les États-Unis ont connu leurs années de gloire grâce au pétrole, ce qui ne les avantage pas dans le combat contre le réchauffement climatique. C'est le pays où l'on compte le plus de citoyens climato-sceptiques, mais les Américains sont aussi des promoteurs essentiels de la science du climat ; on connaît leur attachement au mythe de la "Nature sauvage"2.

Alors que le reste de la planète s'est rallié au consensus scientifique, les États-Unis persistent depuis quarante ans à ralentir, voire à torpiller les négociations internationales. Ce fut le cas avec les deux conservateurs élus à la présidence depuis 2000 : George W. Bush s'est retiré du protocole de Kyoto, Donald Trump s'est retiré de l'Accord de Paris.

 

Il y eut pourtant Al Gore, en 2000, qui a failli remporter l’élection en proposant un agenda ultra-progressiste en matière d’environnement. Il aurait peut-être pu donner aux États-Unis un rôle de leader planétaire dans la transition écologique. Barack Obama s'est également essayé dans ce rôle en réintégrant l'Accord de Paris à son programme, mais il n'a pas poursuivi ses efforts.

Entre temps, c'est la Chine qui est devenue le leader dans le domaine des énergies renouvelables : elle contrôle toute la filière du solaire, elle s'est positionnée en première mondiale dans l'installation de parcs éoliens et elle est en position-clef pour les terres rares, stratégiquement décisives pour les batteries, notamment.3

Dès son arrivée à la Maison blanche, Joe Biden a acté la réintégration des États-Unis dans l'Accord de Paris. « La politique de déni du prédécesseur de Joe Biden a fait perdre 4 ans à la planète. Si les autres acteurs et en particulier l’Union européenne, ne sont pas resté passifs pendant ce temps, le réengagement du nouveau président des États-Unis dans le combat sur le climat était très attendu. Son pays est, derrière la Chine, le plus gros pollueur mondial, et son poids diplomatique laissait espérer un effet d’entraînement salutaire. », lit-on dans l’Éditorial du journal Le Monde du 24 avril 2021.4 Les États-Unis ont accumulé un tel retard en matière d’énergies vertes qu'ils "devront consacrer 750 milliards de dollars par an d’ici 2035 et plus de 900 milliards de dollars par an au début des années 2040 pour respecter les Accords de Paris", estime The Economist.5

En janvier 2021, Biden signe un décret appelant le pays à réduire ses émissions nettes de gaz à effet de serre à zéro d’ici 2050. Les autorités américaines entendent rattraper leur retard sur la Chine et même la devancer puisque Xi Jingping annonçait la même ambition, mais pour 2060. Cependant, les États-Unis savent qu'au niveau du solaire et des terres rares, la bataille est déjà perdue. Dès lors, elles se sont tournées vers les technologies plus récentes et plus complexes, telles que les piles à hydrogène ou la capture du carbone. Là aussi, la Chine a quelques longueurs d'avance6.

L'administration Biden ne s'avoue pas vaincue pour autant, les Américains ne sauraient imaginer un seul instant perdre leur statut d’hégémon mondial, surtout face à une Chine dont le capitalisme se met au service du communisme. Washington s'est engagé dans une bataille systémique avec Pékin, avec le spectre du changement climatique comme toile de fond et l'Union européenne comme carte « joker ».

 

Le volontarisme écologique de la Chine

Quant à la Chine, elle n'a pas attendu que Biden s'installe à la Maison blanche pour se lancer dans les défis du changement climatique. Elle a montré un tel acharnement à réduire sa pollution atmosphérique que le pays a divisé par deux ses émissions de CO2 entre 2012 et 2018.7 Toutefois ce n'est pas encore suffisant pour respecter l’engagement pris en 2015 lors de la COP21 à Paris et dont la Chine est signataire.

En septembre 2020, Xi Jingping a annoncé que la Chine s'efforcerait de parvenir à un pic des émissions de dioxyde de carbone en 2030 et d’atteindre la neutralité carbone d’ici 2060. Le discours du président chinois que d'aucun ont estimé « fracassant » s'inscrivait dans une continuité historique. La préoccupation écologique n'est pas neuve en Chine, la première conférence nationale sur la protection de l'environnement s'est tenue en 1973. Cette conférence au cours de laquelle un premier programme de protection de l'environnement a été défini, a beaucoup contribué à choisir une ligne de conduite où économie et écologie se devraient d'évoluer en bonne entente.

L'économie ayant pris le dessus durant les deux dernières décennies du 20ème siècle, l'écologie a plongé, et la Chine s'est retrouvée noyée dans ses propres déjections. Un sursaut de conscience environnementale eut lieu au début des années 2000, et depuis lors, la Chine semble s'être lancée sur tous les fronts à la fois : reboisement, installation de parcs éoliens gigantesques, production et distribution massive de panneaux solaires, utilisation de la géothermie, construction de petits et grands barrages, assainissement des lacs, des rivières, des lagunes, des écosystèmes côtiers, construction de villes-forêts et de villes-éponges, recyclage des matériaux, recherche sur l'enfouissement du carbone, sur la culture d'algues dévoreuses de CO2, sur l'énergie des océans, sur la fusion nucléaire, etc. Le pays a montré une volonté de fer pour réussir une transition écologique, consciente d'y engager la planète entière.

Toutefois, à l'instar de nombreux pays en voie de développement, la Chine reste très dépendante du charbon. Premier investisseur dans les énergies renouvelables, le pays couvre encore 60% de sa production d’électricité grâce au charbon. L’Agence internationale de l’énergie (AIE) « prévoit que l’Inde et le Sud-est asiatique seront les moteurs de la demande pour le charbon dans les décennies à venir », a indiqué Benjamin Sporton, responsable de l’Association mondiale du charbon à l’AFP. « Pour ces pays, exclure le charbon de leur mix énergétique n’est pas une option : il est essentiel pour leur croissance économique et leur sécurité énergétique », a-t-il ajouté.8 Or, le charbon est la première source de CO2, première cause du réchauffement climatique.

 

 

 

En 2019, pour la troisième année consécutive, le nombre de centrales à charbon en développement dans le monde a reculé, mais la Chine faisait exception. Selon une étude publiée en novembre 2019, la Chine prévoyait de construire de nouvelles centrales électriques à charbon dont la capacité équivalait à celle de toute la production de l’Union Européenne. Une telle hausse de la capacité énergétique de la Chine est incompatible avec son engagement signé à Paris en 2015.

Avec près de 1.000 GW, la Chine représente aujourd’hui près de la moitié des capacités des centrales à charbon, suivie par les États-Unis (259 GW) et l’Inde (221 GW). « Le nombre de centrales à charbon en activité est incompatible avec le maintien du réchauffement climatique nettement en dessous de 2°C. Nous devons donc réduire radicalement l’utilisation des centrales à charbon en activité au cours de la prochaine décennie pour respecter l’accord de Paris », note Christine Shearer, chercheuse au Global Energy monitor.9

 

Une transition écologique, dans quel modèle économique ?

 La pollution atmosphérique engendre nombre de pathologies respiratoires. Jusqu’à présent, l’Organisation Mondiale de la Santé lui attribuait « seulement » 4,2 millions de décès annuels. Selon une étude récente menée aux universités de Birmingham, de Harvard et de Leicester10, les émissions issues de la combustion des énergies fossiles, le charbon en premier, ont été responsables de 8,7 millions de morts prématurées en 2018, soit un peu moins d’un décès sur cinq sur la planète. Dans ce modèle, les risques pour la santé ont été évalué sur des données plus précises que pour les modèles précédents. Elle indique que la pollution atmosphérique peut également impacter le système cardiovasculaire, entraîner un vieillissement prématuré du cerveau avec des problèmes de démence ou de cécité, et provoquer des problèmes de fertilité.

« Notre modèle incorpore aussi des informations plus détaillées sur les effets de l’exposition aux particules fines aux deux extrémités de l’échelle de concentration : à des taux très hauts, comme en Inde, et à des doses très basses, telles celles qui existent dans certaines régions en Europe et aux États-Unis. », explique Karn Vohra, premier auteur de cette étude alarmiste. Dans ce panorama assombri, cinq régions concentrent le plus grand nombre de décès. La Chine (3,9 millions) et l’Inde (2,5 millions) sont les plus touchées, suivies des États-Unis, de l’Europe et de l’Asie du Sud-Est.

L'étude précise toutefois que les efforts de la Chine en matière d'énergies renouvelables ont sauvé 2,4 millions de vie dans le monde, dont 1,5 million en Chine.

« L’impact immédiat des énergies fossiles sur notre santé doit faire partie des discussions sur le changement climatique lors de la COP26 et de conférences analogues pour que l’on prenne la mesure de l’urgence à opérer une transition vers des sources d’énergie plus propres. C’est maintenant qu’il faut agir », conclut Karn Vohra.11

Lors du Sommet pour l’ambition climatique organisé en décembre 2020 à l'occasion des cinq ans de l’Accord de Paris, c’est la Chine qui a tenu le haut de l’affiche. Xi Jingping a pris des engagements à court terme et a promis que le pic de CO2 aurait lieu « avant » 2030.

 

« D'ici 2030, nous allons réduire notre intensité carbone (émissions de CO2 rapportées au PIB, ndr) de plus de 65 %, augmenter la part des énergies non fossiles à 25 % de la consommation d'énergie primaire contre 15,3 % fins de 2019, augmenter le stock forestier de 6 milliards de mètres cubes et porter la capacité totale installée d'énergie renouvelable à plus de 1 200 GW, par rapport à 2005. La Terre est notre seule maison commune. Travaillons ensemble pour progresser régulièrement dans la mise en œuvre de l'Accord de Paris et lancer un nouveau voyage pour l’action climatique mondiale », a déclaré Xi Jinping dans un message vidéo enregistré.12

Selon Li Shuo, expert de Greenpeace-Chine, « il s'agit d'un pas dans la bonne direction, même s’il reste encore beaucoup à faire pour aligner l'action à court terme et la neutralité carbone. La Chine peut faire en sorte que ses émissions atteignent leur maximum avant 2025. »

Avec les nouvelles ambitions climatiques de la Chine, additionnées de l'Accord de Paris que Joe Biden a remis à son agenda et de l’Union européenne qui a annoncé son objectif de réduction des émissions de -55 % d’ici 2030, la transition écologique semble se profiler de manière plus concrète.

Une question cruciale reste pourtant en suspens : si la transition écologique s'insère dans un modèle d'économie de marché néolibéral, n'y a-t-il pas le risque qu'à tous moments elle se transforme en une bataille serrée entre la Chine et les États-Unis ? Sans oublier la guerre du numérique qui mettent déjà les deux colosses mondiaux en compétition. Et, dans ce cas, parviendrons-nous à respecter l'accord de Paris et à empêcher que la hausse de température de dépasse les 2°c ?

 

Notes :

1 https://climate.selectra.com/fr/empreinte-carbone/pays-pollueurs

2 "Le climat, un guerre américaine", documentaire de Cédric Tourbe

3 https://www.ouest-france.fr/environnement/climat/commentaire-avec-biden-une-amerique-verte-7143823

4 éditorial du journal Le Monde du 24.4.2021

5 https://lesfrancais.press/quand-biden-fait-passer-les-usa-a-lecologie/

6 http://www.chine-ecologie.org/energies-renouvelables/autres/234-l-europe-rivalise-avec-la-chine-pour-le-statut-de-superpuissance-de-l-hydrogene-propre

http://www.chine-ecologie.org/defis-climatiques/energies-fossiles/184-la-chine-stocke-du-co2-dans-des-aquiferes-salins

7 https://www.nationalgeographic.fr/environnement/la-pollution-atmospherique-tue-trois-fois-plus-que-la-covid19

8 https://www.lemondedelenergie.com/coup-de-frein-sur-les-projets-de-centrales-a-charbon-en-chine-et-en-inde/2017/03/22/

9 https://www.lemondedelenergie.com/centrales-charbon-baisse-chine/2019/03/28/

10 travaux publiés dans la revue Environmental Research

11 https://www.nationalgeographic.fr/environnement/la-pollution-atmospherique-tue-trois-fois-plus-que-la-covid19

12 https://www.novethic.fr/actualite/environnement/climat/isr-rse/cinq-ans-apres-l-accord-de-paris-les-annonces-a-retenir-du-sommet-de-l-ambition-climatique-149293.html