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La Chine vise un horizon vert

par Charlotte King, le 5 novembre 2020

La Chine se fait de plus en plus entendre pour promouvoir des solutions environnementales au changement climatique. Quelles sont-elles et quels sont ses projets pour atteindre son objectif de neutralité carbone en 2060 ?

 


Si les débats sur les moyens de réduire les impacts du changement climatique ont généralement porté sur l'énergie - comment décarboniser notre approvisionnement en énergie et rendre les processus et les produits plus efficaces sur le plan énergétique - l'utilisation des sols pourrait également jouer un rôle important dans la solution. Les écosystèmes terrestres et océaniques peuvent stocker une énorme quantité de carbone et peuvent contribuer jusqu'à un tiers des réductions d'émissions, ce qui est nécessaire pour maintenir le réchauffement climatique en dessous de 2°C. Inversement, l'abattage des arbres ou la conversion des terres en grandes plantations de monoculture libèrent davantage de carbone dans l'atmosphère.

 

Les systèmes naturels peuvent également aider les sociétés à s'adapter au réchauffement de la planète. La plantation d'arbres en zones urbaines peut maintenir plus de fraîcheur dans les villes. Des mangroves et des récifs coralliens en bonne santé empêchent les côtes d'être battues par les tempêtes. La végétation prévient les inondations en absorbant l'eau des fortes pluies.


La protection et la restauration des écosystèmes naturels pour aider à lutter contre le changement climatique ne sont pas nouvelles, mais ces dernières années, l'intérêt du public pour des "solutions climatiques naturelles" a grimpé en flèche. Les solutions basées sur la nature ont été un élément clé du sommet des Nations unies sur le climat de 2019 à New York. La militante pour le climat Greta Thunberg les a soutenues. Même Donald Trump a soutenu l'appel à planter un trillion d'arbres à Davos au début de cette année. Ces initiatives se sont avérées si populaires que certains experts mettent en garde contre leur nouveau statut « à la mode », arguant que les entreprises et les pays pourraient donner la priorité à la plantation d'arbres au détriment d'autres mesures de lutte contre le changement climatique.


Comment la Chine s'implique-t-elle ?

La Chine est un partisan particulièrement actif des solutions naturelles au problème du climat. Dans une déclaration publiée à la veille de la Semaine d'action pour le climat de New York en 2019, le ministère chinois de l'écologie et de l'environnement a déclaré qu'il "encouragerait activement" la lutte contre le changement climatique auprès d'autres pays. Lors de ce même sommet, la Chine et la Nouvelle-Zélande ont cofondé la Nature-Based Solutions Coalition, un organisme de sensibilisation à environnement placé sous l'égide des Nations unies. En tant qu'hôte de la prochaine grande conférence des Nations unies sur la biodiversité qui aura lieu à Kunming en mai 2021, la Chine devrait faire pression pour l'inclusion de solutions basées sur la nature dans un nouvel accord international.


D'une certaine manière, il s'agit simplement d'une différence de formulation puisque l'intégration de la nature dans la politique socio-économique n'est pas une nouveauté en Chine. Ses principaux décideurs politiques utilisent le terme de "civilisation écologique" depuis 2007 pour promouvoir une vision de développement durable. Cependant, les "solutions basées sur la nature", cette fois prônées à un niveau international, donnent un regain d'enthousiasme à la Chine pour encadrer le travail et lier environnement et climat.



Quelles sont les solutions naturelles proposées par la Chine en matière de climat ?

Reboiser pour stocker le carbone

Les forêts, les mangroves, les prairies et les tourbières peuvent toutes jouer un rôle important dans l'atténuation des dégâts causés par le changement climatique: ce sont des éléments naturels capables d'absorber une grande quantité de carbone et de le stocker. En conservant, en restaurant et en gérant soigneusement ces terres, en particulier les forêts, il est possible pour le pays de réduire la concentration de dioxyde de carbone dans l'atmosphère.


La Chine plante des arbres depuis des décennies : en effet, des données satellitaires compilées par la NASA en 2019 ont montré que la Chine avait contribué à "au moins 25 %" de l'augmentation de la végétation mondiale, ceci depuis 2000. Mais alors que le reboisement était auparavant largement axé sur la nécessité de restaurer les terres dégradées et de contrôler la désertification, ces dernières années, la restauration des forêts en tant que "puits" de carbone est devenue un facteur dominant.


La quantité de carbone que les nouvelles parcelles de forêts sont susceptibles de stocker est clairement définie. Par exemple, l'équipe à l'origine d'un récent projet de reboisement dans la province côtière du Shandong estime que les arbres et les arbustes plantés stockeront quelques 12 millions de tonnes de dioxyde de carbone au cours des 30 prochaines années. Autre exemple, le reboisement de Helinge, un comté balayé par les vents en Mongolie intérieure, devrait fixer 220 000 tonnes de carbone sur une période de dix ans.


En plus de stocker le carbone, ces nouveaux projets de reforestation sont aussi conçus pour aider la Chine à s'adapter au réchauffement climatique. Le projet du Shandong vise spécifiquement à développer des forêts "résilientes aux impacts du changement climatique" en plantant des arbres qui peuvent résister à une grande concentration en sel : une nécessité dans une province où la probabilité d'inondations côtières augmente de jour en jour. Et pour le projet de Mongolie intérieure, selon les habitants de Helinge, les nouvelles forêts contribuent déjà à réduire le nombre de tempêtes de sable qui détruisaient régulièrement la région.

La Chine et l'Inde contribuent le plus au verdissement de la Terre  Source : https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1152386/verdissement-plantation-arbres-agriculture-chine-inde-canada
La Chine et l'Inde contribuent le plus au verdissement de la Terre
Source : https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1152386/verdissement-plantation-arbres-agriculture-chine-inde-canada

 

Des villes-éponges pour absorber l'eau


Les "villes-éponges" constituent un autre exemple frappant de la manière dont la Chine utilise les systèmes naturels pour lutter contre le changement climatique. Lancée en 2015, l'initiative des villes-éponges investit dans des projets qui visent à absorber les eaux de crue. Les glissements de terrain et les inondations sont déjà de gros problèmes dans le sud de la Chine, et le changement climatique menace d'en exacerber la fréquence et la gravité. L'intégration d'une végétation plus abondante dans les milieux urbains joue un rôle important dans le concept de la ville-éponge. Par exemple, le gouvernement de Lingang, une zone économique spéciale prévue dans le district de Pudong à Shanghai, a déjà dépensé 119 millions de dollars pour planter de la verdure sur les toits, construire des zones humides pour le stockage des eaux de pluie et construire des routes perméables qui stockent les eaux de ruissellement. Au début de 2016, Shanghai a annoncé la mise en place de 4,3 millions de pieds carrés (40 ha) de jardins sur les toits de la ville.

La route verte Tianfu de Chengdu (source : Chine au présent)
La route verte Tianfu de Chengdu (source : Chine au présent)


Des mangroves pour protéger les côtes

Dans les zones côtières, les gouvernements locaux investissent également dans la protection de l'environnement pour s'adapter au changement climatique. La conservation des mangroves dans les zones côtières contribue non seulement à l'atténuation du changement climatique - les mangroves stockent une quantité impressionnante de carbone - mais aussi à la protection des rivages qui sont protégés contre des tempêtes plus fréquentes. Depuis la création de la première réserve nationale de mangroves dans les années 1980, la Chine compte aujourd'hui plus de 50 zones protégées, couvrant quelques 16000 mangroves.

Pourquoi la Chine tient-elle à promouvoir des solutions climatiques naturelles ?

Plusieurs raisons peuvent expliquer l'intérêt croissant de la Chine pour le rôle de la nature dans la gestion du changement climatique. La première est que les puits de carbone naturels peuvent jouer un rôle réellement important dans les plans de lutte contre le changement climatique du pays. L'initiative "Nature4Climate" estime qu'en protégeant et en restaurant les forêts, les tourbières et les mangroves, la Chine pourrait diminuer de plus de 1 000 tonnes son équivalent en dioxyde de carbone chaque année.

 

De telles solutions sont d'autant plus importantes depuis que Xí Jìnpíng a pris l'ambitieux engagement 习近平 d'atteindre la neutralité carbone en 2060. Selon Liú Yì 刘毅, professeur à l'Académie des sciences de Chine, pour atteindre cet objectif, les puits de carbone naturels devront être utilisés en ajout d'autres plans de décarbonisation. Alors que les technologies de stockage du carbone et de capture restent relativement peu testées, les écosystèmes offrent une alternative peu coûteuse et présentent toute une série d'autres avantages, notamment économiques, car leur maintenance peut devenir une source de moyens de subsistance pour de nombreuses communautés rurales.


Il pourrait encore y avoir une autre raison. Dans l'histoire récente de la Chine, les mesures de protection de l'environnement ont souvent été prises pour éviter l'instabilité sociale, ou en réponse à des troubles civils et à des manifestations écologiques. Un récent article publié dans Yale360 a soutenu qu'en promettant de créer une "civilisation écologique", le gouvernement a pu réaffirmer son discours national sur l'environnement, mais aussi légitimer la pression qu'il exerce sur des mouvements environnementaux dirigés par des civils et sur des ONG environnementales.


L'avenir des solutions climatiques naturelles

Les solutions basées sur la nature joueront-elles un rôle prépondérant dans l'avenir climatique de la Chine ? Bien qu'il soit peu probable que la Chine, ou tout autre pays, puisse atteindre la neutralité carbone sans compter avec

une élimination "naturelle" de ce GES, il y a des résistances importantes. Les experts craignent que la plantation d'arbres en Chine ne soit trop axée sur les monocultures, or elles stockent moins de carbone. Selon des rapports, dans certaines régions, les forêts naturelles sont même détruites pour faire place à des monocultures forestières. Les villes-éponges rencontrent également des problèmes, cette fois, liés au manque d'expertise locale et aux contraintes financières. Elles représentent un poids supplémentaires pour des administrations municipales déjà endettées.


Au final, le succès de la campagne "zéro émission" en Chine dépendra de la décarbonisation rapide combinée à un passage à une économie de l'hydrogène. Mais il y a également des raisons de croire que les solutions naturelles au problème du climat constitueront une part de plus en plus importante de la politique environnementale chinoise. Au-delà des considérations climatiques, la restauration et la protection des écosystèmes sont essentielles à la santé et aux moyens de subsistance de millions de personnes. Et à la lumière de la myriade de risques climatiques auxquels la Chine est confrontée - de l'augmentation des inondations et des tempêtes dans le sud à la désertification dans le nord et l'ouest - il n'est pas difficile de comprendre pourquoi il existe un soutien pour des solutions climatiques qui sont déjà disponibles, écologiques et qui vont dans le sens de l'évolution.

 

URL de l'article: https://supchina.com/2020/11/05/china-sets-its-sights-on-a-green-horizon/