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Chine : le plan de neutralité carbone 2060 décrypté

par John Lin, Gérant de portefeuille d’actions chinoises chez AllianceBernstein (AB) et Jenny Zeng, Co-Head of Fixed Income chez AB, le 25 mai 2021

reproduit par la rédaction de Chine-écologie, le 10 novembre 2022

En septembre dernier, lors de l’Assemblée générale des Nations unies, le Président chinois Xi Jinping a effectué deux annonces importantes sur le plan environnemental. Premièrement, la deuxième puissance économique mondiale vise un pic de ses émissions de dioxyde de carbone (CO2) d’ici 2030. Deuxièmement, la Chine se lance dans la transition vers la neutralité carbone (émissions nettes de CO2 égales à zéro), qu’elle prévoit d’atteindre en 2060.

 

Le cadre de neutralité carbone 2060 répond non seulement aux enjeux du changement climatique, mais il dévoile aussi en filigrane la vision de Pékin quant à l’avenir économique de la Chine. Alors que le pays redouble d’efforts pour rendre la croissance plus durable, la transition vers une économie plus verte devrait multiplier les nouvelles opportunités d’investissement.

 

Le détail des mesures adoptées n’a pas encore été communiqué. Néanmoins, en fixant son objectif final et en annonçant un cadre temporel sur plusieurs décennies, Pékin se joint aux efforts internationaux déployés pour lutter contre le réchauffement de la planète. L’annonce a été saluée par les partisans des politiques écologiques : en effet, la Chine produit à elle seule plus d’un tiers du CO2 émis dans le monde, si bien que son absence dans le combat pour réduire les émissions de gaz à effet de serre réduirait presque à néant les efforts internationaux.

Pour les investisseurs, les conséquences de cette annonce sont impossibles à ignorer. Le plan 2060 poursuivi par la Chine reflète sa vision de l’évolution du paysage de la production manufacturière à l’horizon des 40 prochaines années. Toutefois, étant donné l’incertitude qui plane encore et le manque de visibilité sur la façon dont ces mesures vertes seront déployées, il conviendra de prêter une grande attention aux détails, dès qu’ils seront dévoilés.

 

Un air de déjà vu ?

Les sceptiques rappellent que, par le passé, la Chine n’a pas honoré ses promesses dans le domaine de l’environnement : les précédentes mesures engagées par Pékin pour réduire l’intensité carbone de l’économie ont souvent fait long feu sous le coup de plusieurs crises économiques. Ainsi, au cœur de la pandémie de coronavirus l’an passé, la Chine a renoué avec son ancien modèle axé sur des dépenses d’infrastructures massives, fermant les yeux sur les courbes de pollution pour permettre aux usines de rester ouvertes et de sauver des emplois.

Un certain doute est donc permis. Cependant, si la guerre de la Chine contre la pollution n’est pas une nouveauté, l’arme choisie est, elle, inédite. Cette fois, le gouvernement central semble établir un programme politique calculé pour atteindre ses objectifs. Le plan 2060 étend le pouvoir décisionnel au-delà des ministères centraux jusqu’aux instances des provinces et des villes, ce qui témoigne de la profondeur politique de cet engagement environnemental.

La neutralité carbone de la Chine coïncide également avec ses ambitions politiques en matière d’autosuffisance technologique. La hausse des salaires et la diminution de la main-d’œuvre rendent une restructuration en faveur d’un mix de production d’énergie plus respectueux de l’environnement de plus en plus vitale. Ces ambitions devraient se répandre à travers tous les secteurs pour redéfinir le « made in China » et en faire le synonyme d’une production manufacturière à haute valeur ajoutée et d’indépendance vis-à-vis de l’Occident en termes d’innovation.

Comment seront mises en œuvre les politiques de neutralité carbone ?

Malgré les rares informations disponibles à l’heure actuelle, nous commençons tout de même à avoir une idée plus concrète de l’implémentation de ces politiques d’ici 2030. Si la croissance économique restera prioritaire, des mesures plus fortes devraient être adoptées afin de réduire son intensité carbone (Graphique).

 

Selon nous, l’adoption des initiatives suivantes dès à présent augmentera les chances de succès de la stratégie poursuivie par la Chine à l’horizon des prochaines décennies :

Les investisseurs disposeront de nombreuses opportunités pour tirer parti de l’objectif de neutralité carbone en 2060 de la Chine, mais peu d’entre elles seront directes. Même si de nombreuses mesures prendront corps indépendamment, nous pensons que le programme vert de Pékin aura des répercussions sur d’autres politiques économiques et reflétera ainsi l’engagement généralisé du pays pour réduire ses émissions de carbone.

La diminution des émissions des secteurs très polluants servira selon nous de test. Le secteur industriel générant 40% des émissions de CO2 de la Chine (Graphique), la réduction des capacités de production de charbon, d’aluminium ou d’acier donnera une bonne indication de la manière dont Pékin entend atteindre son double objectif environnemental au cours des prochaines décennies.

 

Les courbes de production ne sont en aucun cas des outils politiques simples ; leur mise en œuvre s’accompagne souvent de défis sociaux, puisque la fermeture de toute usine en activité menace de créer un chômage de masse. Nous sommes toutefois convaincus que les autorités sont bien conscientes que plus la réduction des émissions de carbone sera retardée, plus les difficultés futures seront importantes.

Le ralentissement de la production industrielle et la reprise de la demande mondiale après le fléchissement causé par la crise sanitaire l’an passé ont entraîné une pentification de la courbe des coûts d’offre de matières premières, et les prix de l’acier, de l’aluminium et du polyéthylène ne cessent de grimper à mesure que les producteurs cherchent à utiliser la recherche et le développement d’une manière plus efficace. Par conséquent, les leaders sectoriels les plus grands et les mieux gérés vont probablement consolider leur part de marché.

 

Construire des infrastructures plus écologiques

Le succès de la stratégie d’abandon des sources d’énergie les plus polluantes dépendra de la disponibilité d’autres sources d’énergie viables. Des investissements conséquents devront par conséquent être réalisés dans le réseau électrique du pays, s’attaquant ainsi au problème historique de création d’infrastructures électriques assez robustes pour faire face aux poussées de demande cycliques.

Dès lors que plus de 80% des émissions de carbone proviennent de la production industrielle et de la génération d’électricité, nous pensons que l’énergie solaire offre une solution viable. Dans de nombreuses provinces, les coûts de production d’énergie solaire sont désormais comparables à ceux de la production d’électricité par des centrales au charbon, ce qui crée une incitation économique en faveur du changement. La Chine est le plus gros consommateur mondial d’équipements solaires, mais elle contrôle par ailleurs près des trois quarts de la chaîne logistique de production des installations photovoltaïques. Ce secteur est donc en bonne place pour soutenir d’autres économies dans leurs efforts vers la neutralité carbone.

La construction d’infrastructures plus écologiques est par ailleurs en ligne avec d’autres politiques, comme l’adoption de transports plus propres. La Chine constitue le plus grand marché de véhicules électriques (VE) au monde et ambitionne pour 2025 qu’un quart des voitures neuves soient des modèles à haute efficacité énergétique. De plus, le pays est conscient qu’alimenter une flotte de VE avec de l’électricité produite à base de charbon neutralisera ses objectifs de réduction de carbone, puisque, en l’état actuel des infrastructures, les véhicules électriques de Chine émettent plus de CO2 que les véhicules équipés de moteurs à combustion interne traditionnels (Graphique).

 

La multiplication des lancements de nouveaux modèles durant les prochaines années donnera un coup d’accélérateur à l’adoption des VE en Chine et dans le monde. Les constructeurs étant, pour leur part, confrontés à une concurrence féroce et à la contraction de leurs marges, nous considérons que la chaîne d’approvisionnement des VE offre de meilleures opportunités.

À terme, l’hydrogène fera également partie du mix de production d’énergie verte. L’énergie de l’hydrogène constitue une solution potentielle dans le domaine du transport commercial, où les masses des véhicules et la densité énergétique des batteries lithium sont sous-optimales. De nombreuses entreprises chinoises expérimentent déjà le transport à l’hydrogène et de grands groupes publics sont en train d’installer des stations de recharge dédiées.

 

L’importance de l’engagement mondial

Le programme de la Chine coïncide avec des actions collaboratives au niveau mondial. Avec le retour des États-Unis dans l’Accord de Paris, les intérêts communs en matière de la lutte contre le changement climatique créent un terrain d’entente entre Washington et Pékin. Après plusieurs années de malaise international, une approche multilatérale de l’avenir de notre planète serait la bienvenue.

Nous ne sommes qu’au tout début du plan de neutralité carbone de la Chine, qui s’étendra sur plusieurs décennies. Toutefois, compte tenu de son ampleur, les investisseurs devraient dès à présent suivre de manière proactive la mise en œuvre des mesures promises (sur le plan politique et en pratique dans les différents secteurs), afin de repérer les entreprises qui bénéficieront du plan de décarbonisation le plus ambitieux au monde.

 

URL: https://www.alliancebernstein.com/library/chine-le-plan-de-neutralite-carbone-2060-decrypte.htm