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Insécurité mondiale, menaces pour la planète

par Élisabeth Martens, le 29 mars 2023

Eco-dépression, éco-anxiété, éco-suicide sont des termes entrés dans notre vocabulaire quotidien. D'où vient ce sentiment d'angoisse qui nous tord les tripes ? Le monde naturel se désagrège, c'est de plus en plus évident, c'est au pas de nos portes, c'est au cœur de nos forêts. Nous ne pouvons plus hésiter à le dire, à le clamer, à le hurler : c'est la puissance de l'argent qui est le vecteur de ce désastre planétaire, c'est le capitalisme financier, l'économie libérale, la consommation poussée à l'extrême. Nous ne pouvons plus nous tromper de cible, c'est le monde libéral qu'il faut combattre, abattre, déchiqueter. Mais existe-t-il des alternatives ?

 

L'alternative la plus viable à long terme est un mariage entre une économie socialiste et une écologie planifiée, un « éco-socialisme » mettant au centre des préoccupations politiques la protection de l'environnement et le développement de l'être humain. Le monde néolibéral ne veut rien entendre de ce genre de modèles, il freine des quatre fers pour les éloigner de nous, il les traficote afin de les décrédibiliser, il nous hypnotise pour nous rendre sourds, hémiplégiques, dramatiquement inopérants.

Or c'est ce que le pays le plus peuplé du monde, la Chine, propose. Bien sûr, elle est encore loin d'être un modèle écologique, mais ses progrès sociaux ont été à une telle allure durant les dernières décennies qu'on peut espérer qu'il en ira de même pour le volet environnemental. La Chine a quand-même sorti 800 millions de personnes de la pauvreté en 40 ans, ce pour quoi nombre de pays à faibles revenus (PFR) sont envieux. De plus, ses pas de géant en matière d'énergies vertes, de 2013 à 2023, tendent à montrer que son « écologisation » sera aussi rapide que sa socialisation.

Toutefois, la guerre en Ukraine a mis au jour le gouffre qui s'est creusé entre la Chine, les pays émergents et les PFR d'une part et nos pays « démocratiques » (entendons : libéraux, capitalistes) d'autre part. Nous dérivons sur des plaques tectoniques qui s'éloignent l'une de l'autre et qui, dans un avenir proche, vont redessiner l’échiquier politique mondial. Exemple avec la crise ukrainienne : la construction d’une coalition mondiale contre la Russie telle qu'aurait voulu la construire l'OTAN est un cuisant échec, la plupart des pays émergents n'ont pas suivi. Aucun d’entre eux n’a imposé de sanction à la Russie ou livré d’armes à l’Ukraine. (4)

Leur méfiance vis-à-vis des « démocraties » occidentales n'est pas nouvelle, elle date au moins des interventions en Irak et en Libye, lorsque le principe du respect de la souveraineté territoriale des États a été bafoué par les États-Unis. Depuis lors, les pays émergents parlent d'un Occident « hypocrite » et, même s'ils désapprouvent l'invasion de l'Ukraine par la Russie, ils sont loin d'affirmer que la Russie est la cause première de la guerre. Ils considèrent plutôt l’expansionnisme de l’OTAN comme une réelle menace pour la Russie et se demandent pourquoi les « grands moyens » ne sont déployés que lorsque la tragédie a lieu sur le sol européen : depuis des décennies, le continent africain est dilapidé par de multiples guerres menées « par procuration » par l'Occident. Et aussi : pourquoi tant d’intransigeance vis-à-vis de la Russie et une telle indulgence vis-à-vis d'Israël ? (4)

 

 

Faut-il rappeler que l'OTAN, fondée après la Seconde Guerre mondiale en vue de s'opposer au Bloc de l'Est, aurait dû être dissoute lors de la chute du Mur de Berlin ? C'est ce qui était convenu. Au lieu de cela, le monde libéral (États-Unis et alliés européens) n'a fait que renforcer l'Alliance ; au lieu des douze de départ, elle compte à présent trente pays. En février dernier, ils ont signé de nouveaux engagements en faveur de l’acquisition de systèmes garantissant leur accès aux technologies de pointe dans les domaines de la défense aérienne, de la défense chimique, biologique, radiologique et nucléaire (CBRN). Pour la première fois de son histoire, l'OTAN a associé à une partie de ses débats les dirigeants de quatre nations d'Asie-Pacifique: la Nouvelle-Zélande, la Corée du Sud, l'Australie, le Japon. Motif : l'ordre international libéral (comprenons : le capitalisme) pourrait être mis en danger par « l'agressivité croissante de Pékin ». (10)

Aucune mention n'est faite des multiples bases militaires étasuniennes qui encerclent la Chine, ni des recherches et activités militaires biologiques des États-Unis tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de son territoire, ni du partenariat de sécurité « Aukus » réunissant l'Australie, le Royaume-Uni et les États-Unis, ni des milliards de dollars délivrés par les pays de l'OTAN et par le Pentagone à l'Ukraine ne faisant que prolonger la guerre. La rencontre récente entre Poutine et Xi Jinping a été ressentie par nos « démocraties » comme une propagation de la menace russe à la Chine, « une sorte de quasi-alliance des régimes autoritaires ». (10)

 

 

A l'opposé, Poutine et Xi Jinping se sont entendus pour dire qu'il n'existe pas de « démocratie supérieure », autrement dit, la démocratie à la chinoise ou la russe, ça fonctionne aussi ! Il est vrai que nous sommes très mal placés pour donner des leçons de démocratie avec un Macron qui vote la réforme des retraites contre l'avis de la majorité de la population française, avec un Biden qui avait promis de ne pas autoriser de nouveaux forages pétroliers en Alaska alors qu'il vient de les approuver, avec le Japon qui va rejeter dans l’océan les eaux contaminées par des substances radioactives de la centrale nucléaire de Fukushima, etc., les exemples foisonnent ! Et dans nos démocraties qui défendent la « libre expression », comment se fait-il qu'un Julian Assange risque 175 années d'emprisonnement dans son propre pays pour avoir dénoncer des crimes de guerre commis par l’armée américaine ? Est-ce aussi la liberté d'expression qui explique qu'aux États-Unis près de 60 millions de fusils d’assaut et d'armes de poing aient été écoulés en trois ans multipliant les tueries en masse ? Et que dire des caméras de surveillance dont on est persuadé que c'est la Chine qui en compte le plus, alors qu'il suffit d'une calculette pour savoir qu'il y en a 33 fois plus à Londres qu'à Pékin ? (13)

On peut trouver nombre de contre-exemples qui font de la Chine un pays moins autoritaire qu'on ne le pense. Même démocratique à certains égards : nos portables sont-ils munis d'applications qui permettent au quidam de prévenir immédiatement les autorités compétentes lorsqu'il constate l'empoisonnement d'une rivière, la pollution d'une terre agricole, le débordement d'une décharge, la contamination d'une nappe phréatique ? En Chine, ce genre d'applications existe, elles sont largement utilisées par les internautes (14). Pour le gouvernement, c'est une fenêtre ouverte sur l'avis du public, un moyen efficace pour prendre la température sociale en ce qui concerne l'environnement. C'est aussi un moyen de diffuser les stratégies de gouvernance environnementale et cela donne au public la possibilité d'y réagir. Ce genre d'exemple ne fait évidemment pas de la Chine un pays plus « démocratique » que les nôtres, mais cela relativise les termes de « démocratie » et « totalitarisme ».

Les alliances pour contrer l'eurocentrisme et l'hégémonie étasunienne se sont multipliées depuis le début de ce siècle. Au départ, leur moteur était la lenteur des négociations internationales pour réduire les dettes des PFR (pays à faibles revenus), puis il y eut la parcimonie dans la mise en place de fonds mondiaux destinés à financer l’adaptation et les réparations des effets d’ores et déjà incalculables du réchauffement climatique dans les pays pauvres. Actuellement, les alliances sont favorisées par les retombées économiques de la guerre en Ukraine : dans les PFR, le nombre de personnes en situation d’insécurité alimentaire aiguë a presque doublé depuis le début des hostilités, suite à la chute des exportations ukrainiennes et russes de céréales et à la hausse des prix des produits pétroliers (4).

La première alliance fut celle des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine en 2009, puis Afrique du Sud en 2011), elle a fait décoller l'économie des pays émergents. Cet élan fut suivi de la « Belt and Road Initiative » (BRI) lancée par Xi Jinping en 2013. La BRI est devenue le symbole d'une possible coopération mondiale sur le plan économique. Récemment, l'Union économique eurasienne (UEE créée en 2014) réunissant la Russie, le Kazakhstan, l'Arménie, la Biélorussie et le Kirghizistan s'est associée à la BRI. En 2020, c'est un « Partenariat régional économique global » (RCEP) qui a réuni 143 pays, soit plus de deux tiers des pays dans le monde ; tous ont signé des accords bilatéraux avec la Chine. En mars, la visite de Xi Jingping à Moscou s'est soldée de par une « déclaration sur le plan du développement des priorités de la coopération sino-russe d’ici à 2030 »(1). En mai, le premier sommet Chine-Asie centrale va s'ouvrir, XiJinping y a invité les dirigeants du Kazakhstan, du Kirghizstan, de l’Ouzbékistan et du Tadjikistan. L'appel de la Chine à construire un avenir commun, partagé par l'humanité entière, semble jouer un rôle constructif dans la promotion du multilatéralisme. (11)

Ces multiples alliances ont d'importants dénominateurs communs : des relations économiques gagnant-gagnant, le retour au principe de non-alignement et non-ingérence dans un pays tiers, chaque pays jouissant d'une autonomie réelle concernant sa politique intérieure, et la volonté de « dédollariser » les échanges internationaux. Le dollar serait remplacé par le yuan dans les échanges économiques entre la Russie, l'Asie, l'Afrique et l’Amérique latine.

En septembre 2021, Xi Jinping a encore lancé un nouveau projet : l'Initiative pour le développement mondial (Global Development Initiative) mettant en perspective la Chine comme leader mondial dans les domaines du développement durable, de la santé publique et de la réduction de la pauvreté. Le président chinois a invité les pays du « deux-tiers-monde » (car le tiers-monde s'est élargi !) à participer à ce projet qui, à terme, déclassera l'économie de marché au profit d'une économie mise au service de l'environnement et de la société.

 

Notes :

1 https://www.lemonde.fr/international/article/2023/03/22/xi-et-poutine-reaffirment-spectaculairement-leur-alliance-contre-l-occident_6166488_3210.html

2 http://french.peopledaily.com.cn/Chine/n3/2023/0322/c31354-10225634.html?

3 fbclid=IwAR0bVgI7B8aYFUJdWrUIEFD-xA9IBFNKxzPXTK31z5isxxiP0qkLTzJY03
4 https://www.cetri.be/Guerre-en-Ukraine-pourquoi-les

5 https://www.lesechos.fr/monde/enjeux-internationaux/les-brics-en-quete-dun-contre-pouvoir-au-g20-1878607

6 https://www.rtbf.be/article/des-millions-de-litres-deau-contaminee-de-la-centrale-de-fukushima-bientot-deverses-dans-locean-pacifique-un-danger-pour-lenvironnement-11157912

7 https://www.nato.int/cps/fr/natohq/news_211733.htm?selectedLocale=fr

8 https://french.news.cn/20220918/c9e7835de6084898a3969ae26e2d0ecf/c.html

9 http://mu.china-embassy.gov.cn/fra/zgxw/202109/t20210927_9571278.htm

10 https://www.lesechos.fr/monde/asie-pacifique/les-democraties-dasie-pacifique-tentent-de-mobiliser-lotan-sur-la-menace-chinoise-1575718

11https://french.news.cn/20220428/2cff05e1a4954a75983f322416a8f7f0/c.html

12 https://projetafriquechine.com/2022/09/27/comment-lidm-sinscrit-il-dans-le-developpement-de-la-chine-au-niveau-mondial/

13 En superficie : Londres 1.572 km² => 620.000 caméras soit 1 caméra par 2.53 m²; Péking 16.411 km² => 46.000 caméras soit 1 caméra par 357 m²

En nombre d'habitants (chiffres de 2019) : Londres 9 millions soit 1 caméra par 14 habitants; Péking 21.5 millions soit 1 caméra par 467 habitants.

14 Exemple : « blue sky » et « blue map »

http://wwwen.ipe.org.cn/appdownload30_en/pc/index.html