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Face à la crise climatique, le Giec prône la justice sociale et la sobriété

par Magali Reinert de Reporterre, le 20 mars 2023

Adoptés à l’unanimité, le rapport du Giec et son résumé pour les décideurs font entrer dans leur vocable la sobriété et la lutte contre les inégalités. Les solutions technologiques sont en revanche reléguées en arrière-plan.

 

 

Un consensus a été trouvé. Comme ses prédécesseurs, le sixième rapport de synthèse du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) a été adopté à l’unanimité dimanche 19 mars à Interlaken, en Suisse. Six fois renouvelé depuis 1990, l’exercice de synthèse en une trentaine de pages des quelque 10 000 pages des six rapports du Giec parus entre 2018 et 2022 pourrait sembler de pure forme. Pourtant, en l’approuvant, les 195 pays membres du Giec s’accordent sur les causes anthropiques du changement climatique, ses effets et les solutions existantes.

Experts et États sont d’accord : le réchauffement climatique est d’origine humaine et certains changements sont déjà inévitables et irréversibles. « La fenêtre d’opportunité pour sécuriser un futur vivable et soutenable pour tous se ferme rapidement », insiste le rapport. Mais à la différence des précédents rapports, plus de date butoir mise en avant. L’enjeu est simple : plus les actions de réduction des émissions seront importantes et rapides, plus on limitera la casse. « Le message important est que pour stabiliser la température mondiale, il faut atteindre zéro émission net de gaz à effet de serre. Plus on l’atteindra tôt, moindre sera le réchauffement », résume pour Reporterre Gerhard Krinner, climatologue à l’Institut des géosciences de l’environnement et auteur du rapport de synthèse.

 

L’arrivée du terme « sobriété »

Le résumé destiné aux décideurs insiste aussi largement sur toutes les solutions d’atténuation et d’adaptation déjà existantes à la disposition des États. « C’est la première fois que le terme “sobriété” apparaît dans une synthèse pour les décideurs politiques », se réjouit Anne Bringault, coordinatrice des programmes au Réseau Action Climat. Avec une définition à l’appui : les mesures et pratiques qui réduisent la consommation d’énergie, de terre et d’eau.

Sur les énergies, la part belle est faite au solaire et à l’éolien. À l’échelle mondiale, le nucléaire arrive derrière les énergies renouvelables pour réduire les émissions. Le stockage de carbone est relégué en dernière place des solutions énergétiques et comme comparativement très cher. « Le rapport insiste sur le fait que la captation du carbone ne peut pas être la seule solution et qu’il faut réduire la consommation actuelle d’énergies fossiles », dit Gerhard Krinner. 

Dans la longue liste des solutions se trouvent aussi sans surprise la réduction de la destruction d’espaces naturels, un régime alimentaire soutenable (moins de viande, moins de déchets), l’isolation des bâtiments, le développement des transports en commun…

 © Clarisse Albertini / Reporterre
© Clarisse Albertini / Reporterre

Pour l’agriculture, les pratiques agroécologiques, l’agroforesterie et de la diversification agricole côtoient le stockage de l’eau, l’irrigation et l’amélioration des variétés. Il en faut pour tout le monde. Globalement, les innovations technologiques sont peu évoquées. Et le rapport prend soin de lister les risques qui leur sont associés : « Les risques de nouveaux impacts environnementaux, les inégalités sociales, la dépendance à des connaissances étrangères, l’effet rebond », entre autres. « L’urgence de l’action ne permet plus de présenter d’hypothétiques innovations technologiques comme des solutions », commente Anne Bringault.

 

« Justice sociale » et « justice climatique »

Pour les États signataires, ce constat sur les solutions ne les engage pas. Le texte ne comporte en effet pas de prescriptions politiques. Mais il va néanmoins guider les négociations lors de la prochaine Conférence des Nations unies sur le climat — la COP28 — qui se déroulera à Dubaï en novembre 2023. Autre point important du rapport pour les négociations à suivre, la reconnaissance des fortes inégalités face au réchauffement climatique. Les justices climatique et sociale font ainsi leur apparition dans le texte validé par les décideurs.

Face à l’urgence de mettre en place des mesures d’adaptation, la question de l’équité dans l’accès à ces mesures entre pays, mais aussi au sein d’un même pays, devient une « priorité ». Les inégalités des impacts entre les régions du globe sont largement illustrées par des cartes d’impacts saisissantes. Pour la pêche par exemple, où les stocks de poisson disparaissent dans la zone intertropicale au profit des pôles. Plus largement, le rapport rappelle que le réchauffement n’est pas le même partout. La France est bien placée pour le savoir, puisqu’elle s’est déjà réchauffée de 1,7 °C alors que le réchauffement global est de 1,1 °C.

 

« Rien d’essentiel n’a disparu »

Le processus nécessaire pour aboutir à un consensus international sur le climat mérite aussi que l’on s’y attarde. Au cours de la semaine qui vient de se dérouler en Suisse, les représentants des États avaient la charge de valider le rapport de synthèse rédigé par les scientifiques, mais aussi d’adopter, phrase par phrase, le résumé pour décideurs selon le principe onusien d’un pays, une voix. Chaque phrase a ainsi été discutée et validée. Au cours de cette étape diplomatique, les scientifiques ne quittent pas l’arène, puisque c’est sous leur regard attentif que se déroulent ces débats. Les États choisissent ce qu’ils mettent et omettent, mais les scientifiques sont garants que le texte respecte bien l’état des connaissances scientifiques. « Rien d’essentiel n’a disparu », commente Gerhard Krinner.

« La publication de chaque rapport reste aussi un moment important, c’est à chaque fois un signal d’alarme qui remet les enjeux climatiques en haut du débat public », insiste Anne Bringault. Même si d’aucuns peuvent rétorquer que — rapport ou pas — les conséquences du dérèglement climatique suffisent aujourd’hui à mettre le climat à la Une de l’actualité. « Si les effets du changement climatique sont déjà là, conclut Gerhard Krinner, on peut toujours influencer la vitesse du réchauffement en réduisant les émissions pour avoir plus de temps pour s’adapter. »

 

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