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Les BRICS évolue vers un un ordre mondial post-occidental

par Fyodor Lukyanov pour defenddemocracy.press, le 11 juillet 2025

L'idée d'un monde multipolaire a longtemps été utilisée dans deux contextes distincts. Le premier est celui où l'hégémonie mondiale est solide et incontestée, comme ce fut le cas pendant les quinze années qui ont suivi la guerre froide. Dans ce cas, « multipolarité » n'est guère plus qu'un slogan - une protestation symbolique contre la domination américaine, sans aucune stratégie pratique.

L'autre cas est celui où cette hégémonie s'est totalement effondrée et où les relations internationales reviennent à leur norme historique : une interaction fluide, imprévisible, d'États ayant des niveaux de puissance différents. C'est alors que la multipolarité devient un fait et que les actions sont guidées par le contexte immédiat.

Rio a montré que le bloc n'est pas en crise, mais en transition

Le monde d'aujourd'hui ne correspond à aucune de ces conditions. L'ancien ordre unipolaire est en train de disparaître, mais ses structures et ses réflexes subsistent. C'est pourquoi le moment actuel est si particulier, et c'est pourquoi les BRICS sont devenus un indicateur si important de la transition en cours.

Ce groupe de nations, malgré sa diversité et ses contradictions, reflète les contours émergents d'un monde moins façonné par le contrôle occidental.Le dernier sommet des BRICS, qui s'est tenu à Rio de Janeiro, a suscité la déception dans certains milieux. Plusieurs dirigeants clés étaient absents, et les gros titres n'ont pas fait état d'un événement exceptionnel.

Comparé à la réunion audacieuse de l'année dernière à Kazan, il a semblé plus discret. Mais ce ton plus calme n'est pas un revers - il reflète l'évolution de l'environnement dans lequel les BRICS opèrent aujourd'hui.

 

Trois tendances permettent d'expliquer le ton du sommet.

Premièrement, les tensions mondiales augmentent. Les récents affrontements entre l'Inde et le Pakistan, et entre Israël et l'Iran, impliquent directement les membres des BRICS. Bien qu'il ne s'agisse pas de véritables conflits au sein du groupe, ils soulignent un manque d'unité. À mesure que les BRICS s'étendent, la diversité interne augmente, ce qui rend plus difficile le maintien d'une voix unique.

Il en résulte naturellement un langage prudent et des formulations peu précises. Cela peut frustrer les observateurs, mais c'est le reflet de la réalité.Deuxièmement, les États-Unis de Donald Trump ont adopté une position plus explicitement anti-BRICS. Washington a proféré des menaces directes et imposé de nouveaux droits de douane aux pays perçus comme alignés sur le bloc.

Ces efforts ont un objectif clair : dissuader l'approfondissemnt de la coopération entre les membres des BRICS. Jusqu'à présent, ils n'ont pas provoqué de défiance ouverte. La plupart des pays des BRICS se méfient de la confrontation directe avec l'Occident. Cependant, les pressions américaines ne cessent d'alimenter le ressentiment, et une réponse plus ferme de la part des BRICS pourrait survenir si ces pressions s'intensifiaient.Troisièmement, la rotation de la présidence des BRICS entre la Russie et le Brésil a modifié le rythme des activités du groupe.

Pour la Russie, les BRICS sont à la fois un outil pratique de coordination économique et une plateforme politique qui contourne le contrôle occidental. Moscou investit beaucoup dans son rôle au sein des BRICS. L'objectif du Brésil est différent. Plus étroitement lié à l'Occident, il a d'autres priorités stratégiques. Cela ne signifie pas que Brasilia se désintéresse des BRICS, mais seulement qu'elle ne les traite pas avec la même urgence.



Néanmoins, quelque chose d'important s'est produit.

Les sommets de 2023 et 2024 en Afrique du Sud et en Russie ont changé les BRICS. Le groupe a mûri, acquérant une nouvelle identité. Il faudra du temps pour digérer cette évolution. La prochaine présidence de l'Inde pourrait poursuivre la phase actuelle de retenue, mais il ne faut pas la confondre avec de la stagnation. Il s'agit d'une période de consolidation nécessaire.

C'est pourquoi la réunion de Rio doit être considérée comme un succès. Les premières phases de l'expansion des BRICS, lorsque le groupe était peu défini et considéré comme ambitieux, ont été relativement faciles. Personne ne s'attendait à grand-chose. Aujourd'hui, les enjeux sont plus importants.

L'Amérique et ses alliés, autrefois dédaigneux, se montrent de plus en plus attentifs. Ils cherchent activement à déceler les faiblesses des BRICS. Ce seul fait montre que les BRICS commencent à avoir de l'importance.

 


L'attrait du groupe réside dans son alignement sur les tendances mondiales réelles.

L'environnement international actuel exige de la flexibilité, un minimum d'obligations et une ouverture à la différence. Les BRICS incarnent ces caractéristiques. Ils évitent les structures contraignantes, embrassent la diversité et opèrent sur la base d'intérêts partagés (bien que peu définis).Nous vivons une époque de désordre.

Il n'y a pas d'équilibre international clair, ni de plan pour en rétablir un. Cette période de transition durera peut-être des décennies. Dans l'intervalle, le monde recherchera de plus en plus des plateformes qui reflètent la nouvelle réalité. Les BRICS sont l'une d'entre elles.La perception du groupe est en train de changer.

Il n'est plus considéré comme un dispositif rhétorique ou une simple "curiosité". Il devient un élément de l'architecture émergente d'un monde multipolaire. Cette évolution sera lente et inégale, mais elle est en cours.Après les sommets de Johannesburg, de Kazan et maintenant de Rio, les BRICS sont entrés dans une nouvelle phase.

Le défi consiste désormais à reconnaître ce changement et à s'y adapter.

 

URL de l'article en anglais:  https://www.defenddemocracy.press/fyodor-lukyanov-brics-is-evolving-into-a-post-western-world-order/