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Le Sud global : victime des investissements verts de la Chine ?

par Elisabeth Martens, le 5 octobre 2025

Pékin a transformé les Nouvelles Routes de la Soie en financements verts accordant aux pays du Sud des prêts à taux particulièrement bas. En 2024, 87% des nouveaux projets de centrales à énergie verte installés dans les pays du sud l'ont été par la Chine. Elle est devenue le banquier et le constructeur vert du Sud... autant d'opportunités économiques pour le Sud global, mais n'y a-t-il pas aussi des risques géopolitiques ?

 

Les chiffres clés

En 2024, 87% des nouvelles centrales solaires, éoliennes et hydroélectriques dans les pays en développement ont été financées ou construites par la Chine, selon les données de BloombergNEF. Et 60% des investissements totaux dans les énergies renouvelables du Sud global venaient de Pékin, selon les chiffres de la Banque mondiale.

 

Quelques exemples marquants

Le Maroc est devenu le 4ème plus grand importateur africain de panneaux solaires en provenance de Chine. Sur les 12 mois précédant juin 2025, il a importé environ 915 MW de panneaux chinois.

En Éthiopie, le barrage du Nil bleu (GERD, Grand Ethiopian Renaissance Dam) est un projet stratégique dans lequel se sont engagées plusieurs entreprises chinoises. En plus de la construction physique du barrage, la Chine a aussi financé ou prêté des fonds (à raison de 1,2 milliard de dollars en 2013) pour les lignes de transmission afin de connecter le barrage aux villes et régions d’Éthiopie.

Des acteurs clé de l'éolien chinois investissent au Brésil, par exemple, SPIC (State Power Investment Corporation) avec 147 millions de dollars pour construire deux nouveaux parcs éoliens dans le Nordeste du Brésil (État de Rio Grande do Norte). Goldwind a acquis une usine d’assemblage de turbines à Baia (Bahia), dans le Nordeste, destinée à produire localement des turbines pour le marché brésilien, ce qui renforce la chaîne de valeur locale. Le projet « Serra da Palmeira », porté par CTG Brasil (China Three Gorges -Brasil) représente une grande opération dans le domaine éolien, avec des coûts élevés (≈ USD 883 millions) pour des parcs éoliens (projet à l'étude). Le groupe chinois CGN a développé le parc éolien Tanque Novo dans Bahia.

La Chine est très présente dans le développement des projets hydroélectriques au Laos via plusieurs canaux, par exemple, PowerChina et Sinohydro, deux des principaux acteurs chinois. Ils construisent des barrages (ou cascades de barrages), assurent des transmissions d’énergie, financements et exploitations, entre autres, le projet des cascades Nam Ou (Nam Ou River Cascade). De nombreux projets de centrales hydroélectriques impliquent des prêts ou des financements chinois. Un rapport indique que, à un moment, les investissements chinois dans le secteur de l’énergie au Laos dépassaient 15 milliards USD.

https://www.echodumardi.com/economie/afrique-la-chine-pousse-la-france-vers-la-sortie/
https://www.echodumardi.com/economie/afrique-la-chine-pousse-la-france-vers-la-sortie/

La Chine, nouveau modèle impérialiste dans le Sud global ?

Les investissements de la Chine dans les pays du Sud global peuvent faire penser à un impérialisme ou à un colonialisme d'un nouveau style : les pays du Sud global deviennent tributaires des équipements chinois et des investissement chinois. D'aucun soutiennent que Pékin rend les pays du Sud dépendants et exerce un pouvoir indirect sur le Sud global. En est-il réellement ainsi?

Quels sont les instruments classiques de l'impérialisme contemporain?

C'est tout d'abord, l'intervention militaire directe, le non respect de la souveraineté des pays. Cependant, la Chine n'intervient jamais militairement à l'extérieur de ses frontières. Elle plaide au contraire pour que chaque pays, grand ou petit, ait le droit de choisir son propre système et modèle de développement. « Tous les pays doivent pouvoir s'exprimer sur un pied d'égalité dans la gouvernance mondiale », a rappelé Xi Jinping lors du dernier sommet de l'OCS (Shanghai Cooperation Organization), début de septembre 2025. La Chine n'a d'ailleurs qu'une seule base militaire à l'étranger, à Djibouti, qui sert à surveiller le passage entre la Mer rouge et l'Océan indien : incomparable avec les centaines d'implantations militaires américaines dans plus de 80 pays dans le monde. Les Chinois n'ont pas l'intention d'imposer quoique ce soit à qui que ce soit.

Ensuite, il y a les sanctions économiques et financières quand les interventions militaires ne sont pas ou plus réalisables. On étrangle l'économie d'un pays pour le soumettre et satisfaire à ses propres intérêts. C'est un instrument couramment utilisé par l’impérialisme occidental. Actuellement, les États-Unis imposent des sanctions économiques à 39 pays dans le monde, dont la Chine et la Russie. Les Chinois ne pratiquent pas ce genre d'étranglement économique.

Il y a encore l'importation de la terreur, une technique américaine initiée en Afghanistan dans les années 1980 : créer ou manipuler des organisations terroristes pour diviser les peuples au sein des nations, semer le chaos dans le pays ciblé. « Divide et impera », c'est connu depuis l'époque romaine. La Chine ne s'est jamais lancé dans de tels actes de démantèlement des nations. Par contre, elle a été la cible de ce genre de terrorisme, par exemple, avec le soutien logistique et financier apporté aux séparatistes tibétains par les États-Unis.

Et on arrive à la question posée ci-dessus : les pays du Sud deviennent-ils dépendants de la Chine et contrôlés par elle en raison des investissements et des prêts à taux bas qu'elle leur consent ? Pékin exerce-t-il de cette manière un pouvoir néocolonial ou impérialiste sur le Sud global ? Les Chinois pratiquent-ils en Afrique ou dans d'autres pays en voie de développement une forme d'échange qui s'apparente au néo-impérialisme ou au néocolonialisme ?

Que fait la Chine dans les pays du Sud si ce n'est qu'elle leur achète des matières premières et des produits agricoles ? Si cela se nomme de l'impérialisme, dans ce cas, tout le monde est impérialiste. Par ailleurs, elle leur vend des panneaux solaires et des batteries chinois qui sont 30 à 50% moins chers que ceux de l’Occident. Évidemment, cela n'arrange ni les pays européens, ni les États-Unis qui dénoncent une concurrence déloyale. Ils tentent de riposter, les États-Unis via l’Inflation Reduction Act et l’UE via le Global Gateway… mais trop tard! Qu'offrent les Chinois aux pays du Sud ? Ils ont commencé par construire des infrastructures de première nécessité: des routes, lignes ferroviaires, des aéroports, des hôpitaux, des écoles, puis ils se sont tournés vers les infrastructures et industries vertes avec la construction de fermes solaires et éoliennes, des centrales hydroélectriques, etc.

Jusqu'à présent, la Chine a investi 900 milliards dans les infrastructures civiles et dans les projets verts de 153 pays de la BRI (ou Nouvelles Routes de la Soie). Avec la politique du « Green Belt and Road » menée par Pékin, les pays du Sud global (un très grand nombre de pays africains, asiatiques et latino-américains font partie de la BRI) ne sont pas des victimes d'un soi-disant impérialisme chinois, mais des partenaires économiques à parts égales. Quand la Chine travaille avec des petits pays, comme la Zambie ou le Cambodge par exemple, la présence massive de la Chine a une influence évidente sur le pays et on peut déplorer des partenariats asymétriques, Mais les grands pays africains qui travaillent avec la Chine comme l'Algérie, le Nigeria, l'Afrique du Sud, l’Éthiopie n'ont nullement l'intention de se soumettre à des exigences chinoises. Chacun des protagonistes s'y retrouve, c'est du win-win. À nouveau, cela ne plaît pas aux pays occidentaux qui parlent d'une « stratégie d’influence » : la Chine remplacerait sciemment l’aide traditionnelle de l'UE et des États-Unis par des contrats « clés en main » où construction et formation vont de pair. Elle i »siniserait » ainsi les populations locales.

Puis on pointe du doigt la dette colossale des pays africains, ce serait le principal frein de ces pays pour qu'ils investissent dans leur propre développement, or la Chine est citée comme principal pays créancier. Cependant, cette dette n'est due à la Chine qu'à raison de 16%. Les 84% restants sont dus aux pays occidentaux.

Si la Chine utilisait des moyens retors pour imposer ses propres conditions aux pays du Sud, par exemple, des accords bilatéraux déséquilibrés, on pourrait dire qu'il y a une domination. Mais ce n'est pas le cas. Plusieurs études faites par des économistes américains (e.a. Jeffray Sachs) montrent que les Chinois n'imposent rien dans leurs partenariats économiques avec le Sud global, contrairement au FMI qui a suivi à la lettre le consensus de Washington et a fini par ruiner les pays du Sud pour alimenter ses fonds de caisse. Les Chinois n'imposent pas de normes de politique économique aux pays partenaires, il n'impose pas de privatiser les entreprises publiques, ni de réduire les impôts sur les sociétés étrangères, ni de démanteler les systèmes sociaux, etc.

Bref, les instruments classiques de l'impérialisme contemporain ne concernent pas la Chine.

 

Climat : Pékin relève la barre

Dans un message vidéo adressé au Sommet des Nations unies sur le climat, Xi Jinping a présenté les nouveaux engagements environnementaux de la Chine.
D’ici 2035, le pays prévoit de réduire ses émissions nettes de gaz à effet de serre de 7 à 10 % par rapport à leur pic, tout en portant la part des énergies non fossiles à plus de 30 % du mix énergétique.

La capacité installée d’énergie éolienne et solaire sera multipliée par six par rapport à 2020, pour atteindre 3 600 gigawatts, tandis que la surface forestière dépassera les 24 milliards de m³. Pékin veut aussi faire des véhicules à énergies nouvelles la norme pour les ventes et élargir son marché national du carbone à l’ensemble des secteurs à forte émission.

La Chine a l'ambition d'entraîner les pays du Sud global dans ses efforts de redressement écologique. Lors des sessions plénières du 17ème Sommet des BRICS en juillet à Rio de Janeiro, le Premier ministre chinois Li Qiang a abordé des problématiques clés sur lesquelles doivent se pencher les pays du BRICS en s'unissant aux forces du Sud global, tels que le renforcement du multilatéralisme, l'intelligence artificielle, l'environnement et le changement climatique, ainsi que la santé mondiale.

Il a appelé à la coopération dans des domaines émergents tels que les économies numérique et verte pour permettre à l'intelligence artificielle de renforcer toutes les industries et de profiter à tous les foyers, et d'aider les pays du Sud global à renforcer le développement de leurs capacités.

Soulignant les risques liés aux incertitudes croissantes dans les secteurs du climat mondial, de l'environnement et de la santé, M. Li a estimé que la communauté internationale devrait forger un large consensus, prendre des mesures proactives et unir ses efforts pour relever les défis communs.

 

La Chine, un facteur de stabilité au niveau mondial

La Chine se présente elle-même comme un facteur de stabilité, de paix et de relations équitables dans le monde. Lors de la réunion de Shanghai Cooperation Organization au début du mois de septembre 2025, la Chine a lancé la Global Governance Initiative (GGI). Cette initiative est restée peu médiatisée chez nous, mais elle est importante pour comprendre comment la Chine perçoit l'évolution du monde.

L'objectif de l'Initiative pour la gouvernance mondiale (GGI) est « un système de gouvernance mondiale plus juste et plus équitable et des progrès vers une communauté avec un avenir commun pour l'humanité ».

La proposition relative à la GGI stipule clairement qu'il ne s'agit pas de remplacer l'ONU. Il s'agit au contraire de protéger et d'améliorer le fonctionnement de l'ONU et des autres institutions internationales existantes, car « la mentalité de la guerre froide, l'hégémonie et le protectionnisme hantaient le monde ».


Quels sont les principaux problèmes liés aux lacunes de la gouvernance mondiale qui doivent être résolus ?


Tout d'abord, il faut remédier à la sous-représentation du Sud global dans les institutions internationales. Ensuite, il faut mettre un terme à l'érosion du pouvoir de l'ONU et des autres institutions internationales sous l'influence des mesures unilatérales et des violations du droit international par certains pays. Une gouvernance mondiale doit s'attaquer efficacement à des questions urgentes telles que le changement climatique, la fracture numérique et la réglementation en matière d'IA et de cybersécurité.


Sources:

chinadaily.com.cn
https://editionsdelga.fr/video-rencontre-au-cafe-marxiste-avec-bruno-guigue-intitulee-comment-les-communistes-ont-transforme-le-monde/

https://www.chinasquare.be/techtrends-xi-maakt-vernieuwde-klimaatdoelstellingen-bekend/

https://youtube.com/shorts/AJWi63uWeJU?feature=shared

BloombergNEF, Boston University Global Energy Finance Database, China Global Energy Finance 2024

Friends of Socialist China

https://www.chinasquare.be/china-pleit-voor-beter-mondiaal-bestuur

https://fr.theorychina.org.cn/c/2025-07-09/1528679.shtml