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Shenzhen, projet pilote d'une « ville-éponge »

par Elisabeth Martens, le 13 juin 2020

Shenzhen est une mégapole chinoise connue comme pionnière des zones économiques spéciales de la Chine. Elle occupe une place particulière dans l'histoire de la réforme économique engagée par Deng Xiaoping en 1979. En à peine 40 ans, la petite communauté de pêcheurs installée le long de la rivière Sham Chun est devenue une métropole de 13 millions d'habitants (chiffre de 2019) et constitue une des municipalités les plus riches de Chine. Shenzhen est toutefois moins connue pour ses politiques innovantes en matière de protection de l'environnement en zone urbaine. Elle fut une des premières métropoles chinoises à opter pour un modèle de croissance « haute qualité » en lieu et place d'un modèle de croissance « haut débit ».

En juin 2013, elle a lancé le premier programme de plafonnement et d'échange de droits d'émission de CO², se profilant comme comme leader chinois dans le développement des énergies renouvelables en zones urbaines. Shenzhen est aussi à l'avant-garde des « ville intelligente » et pilote des « ville-éponge ».

 

Shenzhen, une des première ville-éponge de la Chine Lorsqu'une ville se construit, surtout à grande vitesse comme dans le cas de Shenzhen, elle modifie la surface des sols. Terres et végétations se transforment en rues, chaussées, boulevards bétonnés, trottoirs imperméables. La destruction des écosystèmes provoquent le ruissellement des eaux pluviales, la pollution de l’air, les îlots de chaleur, etc., menaçant les citées d'inondation ou de sécheresse. De plus, comme conséquence du réchauffement climatique, certaines villes chinoises subissent des inondations à répétition (au Sud du pays), alors que d'autres ont désespérément besoin d'eau potable (mégapoles du Nord). En 2010, le ministère chinois de la Construction a lancé une vaste enquête sur la gestion de l'eau en zones urbaines. 351 villes chinoises ont été étudiées et le constat fut affligeant : 65% d'entre elles avaient connu des inondations entre 2008-2010.

En outre, le grand volume d’eau de ruissellement qui pénètre dans les égouts et souvent en débordent compromet la capacité de nombreuses villes de traiter les eaux usées. C'est pourquoi, en 2013, le gouvernement chinois a lancé une campagne nationale de gestion des eaux pluviales en zones urbaines. Trente-deux villes de différentes tailles ont été choisies à travers le pays pour être des « villes éponges » pilotes. Les « villes éponges » se sont engagées à utiliser les infrastructures naturelles pour la gestion des eaux pluviales. Cela implique notamment la création de nouveaux espaces verts, la plantation d’arbres dans les villes, la création de nouveaux parcs et espaces verts, de toitures végétalisées, de revêtements absorbants pour les sols, de nouvelles zones humides.

Tout en renforçant la résilience de ces villes face aux inondations, ce programme devrait également permettre d’augmenter l’approvisionnement de la population locale en eau par le recyclage des eaux retenues. L'objectif du projet, c'est qu’à l’horizon 2030, 80% des zones urbaines soient capables d’absorber et de réutiliser 70% des eaux de pluie. Shenzhen qui avait déjà d’excellentes notes au bulletin de l'aménagement d’infrastructures vertes et durables, fut l'une des premières villes choisies. Grâce à la création de jardins en terrasses et de nombreux espaces verts, elle a abouti à une réduction de 65 % des eaux rejetées (chiffre de 2019). La ville retient et filtre l'eau de pluie, maintient un approvisionnement propre, et fait de Shenzhen une ville plus agréable à vivre et plus saine.

En tant que « Zone économique spéciale » (ZES), Shenzhen propose aux entreprises étrangères des conditions préférentielles : droits de douane, libre rapatriement des investissements et des bénéfices, pas d’impôts pendant plusieurs années puis impôts très bas, statut d’extra-territorialité pour les cadres qui viennent travailler, etc. Les responsables de la ville de Shenzhen n'ont pas eu beaucoup de difficulté à trouver des partenaires pour leur projet de « ville-éponge » et à faire participer des secteurs privé au secteur public pour le développement des infrastructures vertes. The Nature Conservancy (TNC) collabore au projet depuis ses débuts.

TNC est une organisation de protection de environnement fondée en 1951 aux États-Unis dont le but est la préservation des écosystèmes naturels et de la biodiversité par la mise en réserve et la protection des ressources naturelles. Elle travaille dans plus de trente pays, dont la Chine.1

Bien que censée défendre l'environnement, TNC a eu un comportement ambigu à plusieurs reprises, notamment par ses liens avec les industries liées aux combustibles fossiles2. Toutefois, TNC a une expérience internationale des programmes d'incitation et des systèmes de crédit sur les eaux pluviales axés sur le marché. Ceux-ci ont été mis en œuvre à Shenzhen, ainsi que dans d'autres villes chinoises, confirmant une collaboration efficace entre la Chine et les États-Unis au niveau environnemental.

« Après son succès chinois, le modèle de la ville-éponge séduit les zones climatiques sur-exposées, des Caraïbes au Kenya, ainsi que des grandes mégalopoles industrialisées telles que Berlin ou New York. La capitale allemande a noué un partenariat avec la ville de Copenhague qui, après un ravageur épisode pluvieux, s'est tournée vers des techniques de ville-éponge afin de mieux gérer les eaux de ruissellement dans la ville. Ce gigantesque plan de près d’1,5 milliard de dollars inclut une expansion du réseau d’égouts mais, surtout, une panoplie de solutions de surface, allant de la plantation d’herbe en remplacement de l’asphalte à la création de zones de rétention d’eaux temporaires ayant par ailleurs d’autres fonctions urbaines (comme des aires de jeux construites sous le niveau « zéro »). Le tout crée un réseau absorbant qui achemine, tout en les ralentissant, les eaux pluviales… Soit, en un mot, une authentique ville-éponge ?3 »

 Nairobi, capitale du Kenya, un pilote des villes-éponges en Afrique
Nairobi, capitale du Kenya, un pilote des villes-éponges en Afrique

 

L’Agence Française de Développement (AFD) et ses partenaires participent également au financement de nombreuses initiatives associées aux « Solutions fondées sur la nature » (SFN), dont le projet des « villes-éponges » destiné à rendre les villes chinoises plus résilientes face aux catastrophes climatiques.4 Le succès de l’exemple chinois pourrait-il aboutir, à terme, à une généralisation des SFN à l’ensemble des pays, se demande l'AFD ?

En tous cas, si Shenzhen reste à l'avant-garde des technologies de pointe en matière d'environnement, cela n'empêche nullement que la métropole chinoise le soit aussi dans l'industrie 4.0. Plusieurs géants des télécommunications et de l'électronique sont basés à Shenzhen, ce qui en fait un centre névralgique pour le développement du numérique et de la robotique. « Le "far east" version "nouvelles technologies", la future Silicon Valley asiatique, c’est Shenzhen, la ville qui accueille toutes les pépites du digital ! 5 » Comme quoi les épousailles entre écologie et technologie s'ouvrent à un bel avenir en Chine.

 

Notes :

1 https://fr.wikipedia.org/wiki/The_Nature_Conservancy

2 Naomi Klein, Tout peut changer : Capitalisme & changement climatique [« This changes everything, capitalism vs the climate »], Arles/Montréal, Actes Sud/Lux, 2015 pp. 221-227

3https://leonard.vinci.com/les-villes-eponges-entre-mythe-et-realites/

4https://www.afd.fr/fr/actualites/solutions-fondees-sur-la-nature-faire-de-la-nature-une-alliee?origin=/fr/rechercher?query=Chine%2Breforestation&size=20&sort=_score%2Cdesc&filter%5B0%5D=source_k%3Dafd&facetOptions%5B0%5D=country_k%2Csize%2C200&facetOptions%5B1%5D=thematic_k%2Csize%2C999&facetOptions%5B2%5D=publication_date_month%2Csize%2C999&type=1

5https://www.studyrama.com/pro/node/21721