Où en est le projet de détournement du Yangzi ?

par Élisabeth Martens, le 22 mars 2023

La Chine abrite un cinquième de la population mondiale, mais profite seulement de 7 % de l'eau de source de la planète. Cela représente un fameux défis alors que l'eau devient de « l'or bleu ». En outre, la population chinoise est plus concentrée dans les régions arides du nord du pays, alors que les eaux coulent à flots dans le sud. Mao avait déjà imaginé une solution technique à ce déséquilibre écologique. : le détournement des eaux du Yangzi du sud vers le nord, avec barrages, canaux, tunnels à la clef.

 

 

le Yangzi à Chongqing
le Yangzi à Chongqing

 

Les mégapoles de la Chine du nord, en particulier les agglomérations de Pékin et de Tianjin, ne disposent pas de ressources en eau suffisantes. En 2012, à Pékin, chaque citoyen ne disposait que de 120 m3 d'eau alors que, selon la norme établie par les Nations unies, le seuil de détresse hydrique est de 500 m3 par habitant. Pendant des années, la ville de Pékin a puisé dans ses nappes phréatiques ; leur niveau baissait de deux à trois mètres par an malgré une réduction sévère de la consommation.

En désespoir de cause, Pékin s'est tourné vers la province voisine du Hebei et a puisé dans les ressources de sa généreuse voisine. Mais cela ne pouvait être une solution à long terme. Il fallait actualiser le projet de Mao de détourner l'eau du Yangzi du sud au nord. Il s'agit du plus ambitieux projet d'ingénierie hydraulique de l'histoire chinoise.

L'objectif pour 2050 est de détourner chaque année 45 milliards de mètres cubes d'eau1 qui passeraient à travers 4350 km de voies hydrauliques. Trois routes sont tracées depuis différents points du Yangzi pour amener l'eau vers le nord du pays. Actuellement, les deux premières routes sont fonctionnelles. Il reste à concrétiser la troisième.

La première à avoir été mise en service est le route de l'est. Elle démarre au niveau de l'estuaire du Yangzi et emprunte d'anciennes voies du Grand Canal creusé il y a 1400 ans, qui ont été réaménagées. Cette route traverse les province du Jiangsu et du Shandong et alimente la ville de Tianjin en eau douce. Cette portion fonctionne depuis 2013.

La route du centre est essentielle puisqu'elle doit alimenter Pékin et accessoirement Tianjin. L'eau est prélevée sur le cours supérieur d'un affluent du Yangzi (la rivière Han), dans le Hubei, puis elle est convoyée à travers une canalisation qui passe sous le Fleuve Jaune. Près de 30 milliards d'euros ont été investis dans cette partie centrale du parcours. Sa construction, qui a pris onze ans et a déplacé plus de 330.000 personnes, ce qui a provoqué de nombreuses critiques, a été achevée en 2014.

Point de départ de la route du centre près de Nanyang dans le Henan
Point de départ de la route du centre près de Nanyang dans le Henan

 

La troisième route qui traverse le Tibet et fournirait de l'eau aux plaines du nord est la plus controversée. Il s'agit de prélever une partie des eaux du Yangzi et de deux de ses affluents, le Yalong et le Dadu, très en amont sur le

Plateau tibétain. Les trois cours d'eau sont à peu près parallèles et faiblement distants dans cette région. Pour y parvenir le projet nécessite la construction dans une région extrêmement montagneuse et située à très haute altitude (3 000 à 4 000 mètres) d'énormes barrages et de longs canaux souterrains permettant de franchir la ligne de partage d'eau entre ces fleuves. Une première canalisation doit transférer les eaux du Yangzi (baptisé Tongtian dans cette partie de son cours) vers le Yalong (289 km).

Un second canal amènerait les eaux du Yalong vers le Fleuve Jaune (131 km) et un troisième canal celles du Dadu vers le Fleuve Jaune (30 km). Le projet de la route ouest est en stand-by, il est beaucoup plus coûteux et plus complexe que les deux premières routes qui, elles, sont déjà opérationnelles.

Outre le coût exorbitant des travaux - près de 80 milliards d'euros au total -, de nombreux scientifiques, chinois et étrangers, ont exprimé des réserves quant aux conséquences potentielles de ce bouleversement géographique.

Deux gros problèmes inquiètent: d'abord, la pollution des eaux des rivières et des sols menace à terme la qualité de l'eau transférée vers le nord. Ensuite, l'impact du changement climatique altère la fréquence des pluies dans le sud rendant le but du projet incertain : le jeu en vaut-il la chandelle ?

 

Notes :

1  1 400 m3/s