Polémiques écologiques autour des JO d'hiver de Pékin

par Élisabeth Martens, le 4 février 2022

Alors que les JO d'hiver s'ouvrent aujourd’hui dans le Nid d'oiseau au nord de Pékin par une magistrale cérémonie menée à la baguette par le réalisateur Zhang Yimou, les journaux titrent : « à Pékin, des JO d'hiver pas si verts! » et parle d'une « hérésie écologique ». Quant aux États-Unis, à l'Australie, au Canada et à l'Angleterre, ils se sont abstenus d'envoyer des délégués politiques, en vue de dénoncer des atteintes aux droits de l'Homme en Chine.

 

Près de 3000 athlètes venus des quatre coins du monde vont concourir, du 4 au 20 février, aux JO d'hiver. Cette importante rencontre sportive constitue une pièce maîtresse sur l'échiquier de l’économie sportive de la Chine, qui se veut à la fois « verte » et génératrice d’opportunités. Pourtant les critiques n'arrêtent pas de pleuvoir sur les pentes enneigées du site des jeux de Yanqing. Et quand ce ne sont pas les dépenses énergétiques qui sont visées, on dénonce les privations de libertés des Ouïghours, Tibétains et Hongkongais.

 

100% de neige artificielle

La région des sites olympiques est connue pour sa sécheresse hivernale et il n'y tombe presque jamais de neige malgré le froid intense. Plus de 100 générateurs de neige et 300 canons à neige doivent tourner en permanence pour recouvrir les pistes de neige artificielle, dont la production est coûteuse en énergie et en eau - environ 185 millions de litres d'eau consommée en 16 jours, le tiers de ce que Paris consomme au quotidien -, alors que Pékin ne peut déjà compter que sur 300 m³ d'eau par an et par habitant, soit moins du tiers de l'approvisionnement recommandé par les normes de l'ONU.

"Pour faire de la neige artificielle, il faut installer des centrales à neige en montagne, qui nécessitent énormément d'électricité, notamment pour pomper l'eau et l'envoyer sous forme de brume", explique Arnaud Gauffier, directeur des programmes du WWF France.

Les organisateurs chinois insistent sur le caractère écologique de ces JO et minimisent la dépense. La neige artificielle n'est d'ailleurs pas une nouveauté. Déjà lors des JO en 1980 aux États-Unis, une partie de la neige était artificielle. Et durant les derniers JO, en Corée du sud, 90% de la neige était artificielle. Cette fois, en Chine, c'est la première fois qu'elle l'est à 100%.

La Chine se défend en disant que l'eau sera entièrement recyclée et que l'électricité est 100% verte. « C'est la première fois dans l'histoire des Jeux olympiques que tous les sites sont alimentés à 100 % par de l'énergie verte, la technologie de fabrication de la glace adoptée ne produisant aucune émission », argumente le People's Daily Online

canon à neige à Yanqing
canon à neige à Yanqing

 

Impact environnemental1

Cependant, l'impact environnemental ne se limite pas à la neige artificielle. Pour aggraver le bilan énergétique de ces JO, la Chine a abattu plus de 20.000 arbres au cours des dernières années, l'équivalent de plus de 1000 terrains de football. Pour construire les pistes de Yanqing où se déroulent les épreuves de ski alpin, la Chine a dû empiéter sur un tiers de la réserve naturelle de Songshan. 25% de la réserve naturelle a été détruite, menaçant la biodiversité de sa zone centrale, la plus importante pour la protection des espèces.

Par ailleurs, Arnaud Gauffier explique que « pour faire en sorte d’abaisser le point de congélation de l'eau qu'on envoie, donc faire en sorte qu'on puisse faire de la neige à +2 ou +3 degrés et qu’elle reste plus longtemps au sol, on ajoute des adjuvants dans l’eau. Ces adjuvants sont des produits chimiques dont on ne connaît pas encore l'effet sur les milieux naturels. »

À cela s’ajoute aussi un grand risque d’érosion des sols. En effet, les organisateurs ont construit sur le site de Chongli (préfecture de Zhangjiakou) des pistes sur des gorges dans la perspective des JO. Si ces pistes n’accueilleront finalement pas d'épreuves, elles se situent cependant à proximité des sites olympiques. « Les organisateurs ont rempli entièrement ces gorges avec des sédiments. Cela est donc très vulnérable, car une gorge est toujours très érosive, surtout en été avec les pluies très fortes. C'est comme du maquillage », appuie le spécialiste. 

Toutes ces dégradations environnementales ne sont pas propres aux JO de Pékin. Sur les trois dernières éditions, à Sotchi en 2014 et à PyeongChang en 2018, les villes hôtes ont dû créer de toute pièce le décor blanc nécessaire à l’accueil des Jeux d’hiver. « C’est un déni de la part du CIO », regrette Arnaud Gauffier du WWF France. 

Pour le directeur des programmes de WWF France : « Ça va être de plus en plus compliqué de les organiser, en tout cas avec de la neige naturelle. Les jours des Jeux d’hiver sont comptés. » En effet, sur les 21 sites ayant accueillis des Jeux d'hiver depuis Chamonix en 1924, seuls dix d'entre eux pourraient encore convenir pour accueillir un tel événement, avec des chutes de neige naturelles suffisantes, d'ici à 2050.

réserve naturelle de Songshan lors des JO de 2022
réserve naturelle de Songshan lors des JO de 2022

 

Des énergies vertes aux JO de Pékin2

Cependant, depuis 2015, année où la Chine a été désignée comme pays hôte, d’importants investissements ont été effectués, notamment pour améliorer la qualité de l’air. En effet, du fait que les jeux vont se dérouler dans la province du Hebei – réputée pour son industrie sidérurgique très polluante et où se situe Pékin –, la Chine a pris plusieurs mesures importantes. Parmi lesquelles : plantation de plusieurs milliers d’hectares d’arbres afin de porter le taux de couverture forestière de Zhangjiakou – l’une des zones de compétition des JO d’hiver – de 56% à 70 voire 80% ; construction de nombreuses centrales éoliennes et solaires ; déplacement de plusieurs centaines d’entreprises polluantes ; réutilisation de certains sites existants des JO d’été de 2008 ; utilisation de véhicules électriques.

Les montagnes environnantes sont recouvertes de panneaux solaires d'une capacité additionnelle de 7 millions de kilowatts. Ces différentes installations sont reliées à un centre de distribution auquel seront connectés les sites olympiques.

Les pistes de ski étant distantes de la capitale, Pékin a construit une ligne de train à grande vitesse pour rejoindre les pistes de ski et autres sites olympiques, et a mis en place des centaines d'autocars pour transporter les sportifs et le personnel d'accompagnement. D'après les organisateurs, 85% des véhicules utilisés pour les JO 2022 rouleront à l'électricité ou à l'hydrogène.3

site olympique de Pékin 2022
site olympique de Pékin 2022

 

Un skieur chinois, cité par le site d’information en chinois de RFI, explique avoir constaté une nette amélioration de la qualité de l’air à Pékin mais aussi une qualité de l’air meilleure à Zhangjiakou que sur certaines stations de ski à l’étranger. Aux dernières nouvelles, l’indice de la qualité de l’air à Pékin est de 33 μg/m3 contre 71u μg/m3 en 2016.

A noter aussi que Chongli, une cité de Zhangjiakou, compte à présent 104 entreprises spécialisées dans l’énergie éolienne, avec une capacité installée d’énergie renouvelable atteignant 20,63 millions de kilowatts. Chongli devient ainsi la plus importante source d’énergies renouvelables hors eau de Chine, avec une consommation d’énergies renouvelables représentant 30% du mix énergétique ; et, en ce qui concerne l’électricité utilisée sur ses sites pendant les JO d’hiver, elle provient à 100% des énergies vertes.

 

Répercussions économiques des JO d'hiver4

Située au nord-ouest de Pékin, Yanqing, l’une des trois zones de compétition des JO d’hiver avec Pékin et Zhangjiakou, comporte cinq sites dont deux sont destinés à recevoir les 21 épreuves de ski alpin, bobsleigh, luge et skeleton. Jusqu’à présent, 160 moniteurs de ski ont été formés pour apprendre aux enfants à pratiquer le ski et le patinage à l’école. D’ici à la fin 2022, plus de 20 000 collégiens et lycéens seront ainsi formés, qui viendront s’ajouter aux 31 000 collégiens et lycéens déjà formés. En parallèle, près de 20 000 personnes ont reçu des formations dans les domaines de la réception en hôtellerie, de la gestion des hôtels-restaurants et de la plomberie.

Pour populariser les sports de neige et de glace, la municipalité de Yanqing a ouvert, pour le compte de la municipalité de Pékin, un centre de formation et d’entraînement ; elle possède plusieurs stations de ski, dont celle de Wanke Shijinglong – la première et la plus importante station à avoir été ouverte près de Pékin – et celle de Badaling, ainsi qu’une patinoire de 40 000 m2 destinée au grand public. Aux dernières nouvelles, Yanqing va construire d’ici à 2024 l’unique base d’entraînement de standing international de Chine et une station de ski pour le grand public, et améliorer les stations de Wanke Shijinglong et de Badaling.

Enfin, entre 2022 et 2025, Yanqing prévoit de candidater pour organiser des compétitions internationales de haut niveau, telles que la Coupe du monde de ski alpin ou le Championnat du monde de ski alpin.

Ce sont là, rien qu’à Yanqing, petite ville de 345 671 habitants, autant de personnes qualifiées et d’infrastructures nécessaires pour répondre, aujourd’hui, aux besoins des JO d’hiver, et pour relever, demain, un défi de taille : l’essor – et probablement l’explosion – d’un marché organisé autour du tourisme axé sur le ski et le patinage après les JO d’hiver.

 

Un marché du tourisme axé sur le ski et le patinage5

Selon un sondage récemment mené en Chine, 68,4 % des touristes chinois affirment que, influencés par les JO d’hiver de Pékin, ils veulent pratiquer davantage le ski et le patinage. Par ailleurs, le Rapport 2022 sur le développement du tourisme axé sur le ski et le patinage montre qu’entre 2016 et 2017 le nombre de touristes amateurs de ski et de patinage était passé de 170 millions à 254 millions et qu’entre 2021 et 2022 il pourrait frôler les 305 millions, ce qui permettrait de générer un revenu de 323 milliards de yuans (44 milliards d’euros), soit l’équivalent de 50% du total des recettes touristiques de la France en 2020 ! L’effet d’entraînement des JO d’hiver de Pékin est flagrant.

Derrière le chiffre des 323 milliards de yuans se profile un marché dont le développement repose sur la réalisation de 157 projets de construction d’ampleur entre 2018 et 2021 dans l’ensemble de la Chine, lesquels sont soutenus par 128 projets d’infrastructures de transports (chemins de fer, routes, etc.).

Inscrit dans le 14ème plan quinquennal, le plan de développement du tourisme axé sur le ski et le patinage de 2021 à 2025 s’avère encore plus ambitieux. Ainsi, un tel marché devrait toucher : 300 millions de personnes dans le Nord-Est de la Chine, avec un revenu de 500 milliards de yuans (66 milliards d’euros) ; 100 millions de personnes dans la région Pékin-Tianjin Hebei, avec un revenu de 250 milliards de yuans (35 milliards d’euros) ; 100 millions de personnes dans le Xinjiang, avec un revenu de 200 milliards de yuans (28 milliards d’euros) ; et 50 millions de personnes dans le Tibet et le Qinghai, avec un revenu de 100 milliards de yuans (14 milliards d’euros). Le tout soutenu par le développement de la production de matériels de ski et l’industrie de services.

La balance entre préservation écologique et croissance économique est difficile à maintenir pour la Chine en ce début du Tigre d'eau! Cela promet de beaux slaloms !

 

Sources :

1 https://www.francetvinfo.fr/les-jeux-olympiques/pekin-2022/jo-2022-les-jeux-de-pekin-ne-seront-pas-aussi-verts-qu-annonces_4914155.html

2 https://www.institutschiller.org/JO-Pekin-2022-quelles-opportunites-economiques.html

3 https://www.eurosport.fr/jeux-olympiques/pekin-2022/2022/jeux-olympiques-qualite-de-l-air-transports-neige-artificielle-quel-sera-l-impact-ecologique-de-peki_sto8690796/story.shtml

4 https://www.institutschiller.org/JO-Pekin-2022-quelles-opportunites-economiques.html

5 https://www.institutschiller.org/JO-Pekin-2022-quelles-opportunites-economiques.html