L’Union Européenne à la croisée des chemins

par Lionel Vairon pour Chine-info, le 29 juin 2020

La crise actuelle et le conflit sino-américain offrent à l'Europe une opportunité historique de jouer un rôle majeur dans la refonte de l’ordre international en privilégiant son indépendance et sa souveraineté. Les plus récents signaux ne semblent cependant pas confirmer cette orientation. Le chef de la diplomatie européenne Josep Borell, a invité son homologue américain Mike Pompeo à rejoindre un « Dialogue UE–États-Unis » sur la Chine, mais peut-être Josep Borell s’apprête-t-il à inviter la Chine à rejoindre un « Dialogue UE–Chine sur les États-Unis »…?

Photo © Markus Spiske / Unsplash
Photo © Markus Spiske / Unsplash

 

Depuis plusieurs décennies, l’Union Européenne a adopté une politique suiviste par rapport aux États-Unis dans de nombreux dossiers économiques et de politique internationale, au détriment souvent de l’intérêt de ses propres membres. Au prétexte d’appartenir à un monde partageant des valeurs et un système politique, l’Europe s’est le plus souvent abstenue d’entrer en conflit avec Washington, même lorsque certains des États membres n’hésitaient pas quant à eux à affronter le grand frère américain, comme ce fut le cas lors de l’invasion de l’Iraq.

Cette approche très complaisante de la relation transatlantique a considérablement favorisé les intérêts américains. Le réseau d’espionnage Echelon installé au Royaume-Uni qui transmet à la NSA les informations recueillies à travers les communications téléphoniques et électroniques a ainsi permis aux États-Unis de spolier chaque année les sociétés européennes de centaines de millions d’euros sur des contrats en cours de négociation. Alors que Washington exerce de très fortes pressions sur les Européens pour interdire le développement du réseau 5G par la société chinoise Huawei, la NSA a pendant des années espionné les communications téléphoniques de dirigeants européens au plus haut niveau comme Angela Merkel ou François Hollande.

Mais les Européens sont plongés dans un dilemme résumé par le chef du gouvernement finlandais, Jyrki Katainen : « Nous devons à la fois préserver la relation transatlantique et affirmer que l'espionnage n'est pas acceptable ». L'Union a donc écarté l’idée de sanctions, en particulier une éventuelle suspension des négociations de libre-échange qui venaient d'être lancées avec les ÉtatsUnis malgré la gravité de l’affaire. Il était donc jusqu’à présent manifeste que l’Union Européenne accordait la priorité absolue à sa relation transatlantique, quitte à porter préjudice à ses propres intérêts et, surtout, à sa souveraineté.

La conjonction de la politique poursuivie par Washington depuis l’élection de Donald Trump et de la crise du Covid-19 a donné naissance à un nouveau contexte international. Du côté américain, l’Union Européenne ne peut plus se faire aucune illusion quant à la politique de Washington à son égard. Donald Trump, comme les autres membres de son administration, n’a cessé de menacer, de sanctionner et d’exprimer son mépris pour les Européens. Proclamant haut et fort que seul l’intérêt des États-Unis comptait – en réalité ce que le président américain croyait en comprendre –, les dirigeants européens, qui continuent à faire le dos rond, ne peuvent continuer à issimuler à leurs opinons publiques une relation transatlantique qui ressemble fort à une relation de vassalité.

Mais l’Union Européenne est également largement tributaire d’une autre relation, celle qu’elle entretient avec la Chine, une Chine devenue un partenaire économique et politique incontournable. Le récent dialogue des dirigeants de l’Union avec le Président Xi Jinping et le Premier ministre Li Keqiang a fait apparaître les lignes de convergence et les obstacles qui caractérisent ce partenariat compliqué. Le dialogue fut assez déséquilibré, les dirigeants chinois insistant sur les convergences et les dirigeants européens sur les obstacles…

L’Union Européenne présente en effet à Pékin un certain nombre de revendications légitimes dans le domaine économique et commercial, réclamant notamment une plus grande ouverture du marché chinois aux entreprises européennes, ce à quoi le Président Xi Jinping s’est engagé à répondre très favorablement. Mais d’autres sujets abordés sont plus problématiques car ils constituent une forme d’ingérence dans les affaires intérieures de la Chine, qu’il s’agisse de la question de la loi de sécurité pour Hong Kong ou des droits de l’homme. Les deux parties ont une approche opposée et il leur sera difficile de résoudre ces différends. Les deux dirigeants européens, la Présidente de la Commission Européenne Ursula von der Leyen et le Président du Conseil Européen Charles Michel, ont en réalité manifesté une assez grande hostilité dès le départ de ce dialogue, le rendant ainsi d’emblée très tendu. Pour la présidente de la Commission, il s’agissait de la première rencontre avec les dirigeants chinois, et elle s’était semble-t-il entourée d’experts pour la préparation de cet événement. À l’image de l’expertise générale sur la Chine en Europe, les conseils qui lui avaient été prodigués ont probablement renforcé une hostilité latente.

Sur certains sujets, les échanges tournent au dialogue de sourds. La question des objectifs de la lutte contre les changements climatiques a été abordée bien que la Chine réalise des efforts considérables pour améliorer la protection de l’environnement dans le cadre de la politique de « civilisation écologique » lancée par le Président Xi Jinping, une politique dont nous pouvons observer en Chine les succès dans de nombreuses régions.

L’accent porté par les Européens sur la réforme de l’OMC est également révélateur des limites d’un système multilatéral originellement destiné à servir les intérêts des pays du Nord. En effet, dès lors que des pays comme la Chine ont commencé à tirer des bénéfices de leur appartenance à l’organisation, la réforme est devenue nécessaire aux yeux des États-Unis et de l’Europe…

Face à la politique isolationniste et individualiste américaine, et malgré les réticences fortes de certains de ses États membres, l’Union Européenne se trouve à une croisée des chemins. La ligne de conduite européenne actuelle entend échapper au choix que lui réclament avec insistance les États-Unis. Mais pour maintenir effectivement cette orientation et adopter une position plus équilibrée, le réalisme imposera à Bruxelles et aux capitales européennes de s’affranchir progressivement de la soumission à des ÉtatsUnis en déclin et de bâtir une relation durable et constructive avec la Chine.

L’une des difficultés repose cependant d’une part sur l’existence d’influents lobbyistes proaméricains, d’autre part sur l’incapacité – ou l’absence de volonté – de certains dirigeants européens de résister aux pressions venues de Washington. Le récent abandon du projet de construction de deux réacteurs nucléaires par une société chinoise en Roumanie, sous la pression américaine, a mis en relief la fragilité de certains membres de l’Union. Comme avec d’autres régions du monde, l’Europe subira toujours davantage des pressions destinées à la faire plier aux diktats américains, et elle devra rapidement faire des choix stratégiques et donner enfin la priorité à ses propres intérêts. La crise actuelle et le conflit sino-américain lui offrent une opportunité historique de jouer un rôle majeur dans la refonte de l’ordre international en privilégiant son indépendance et sa souveraineté. Les plus récents signaux ne semblent cependant pas confirmer cette orientation.

Le chef de la diplomatie européenne Josep Borell, a ainsi invité son homologue américain Mike Pompeo à rejoindre un « Dialogue UE–États-Unis » sur la Chine, en contradiction avec la neutralité affirmée. Mais peut-être Josep Borell s’apprête-t-il à inviter la Chine à rejoindre un « Dialogue UE–Chine sur les États-Unis »…?

 

Lionel Vairon est un ancien diplomate et professeur d’université français, aujourd’hui Président de la société CEC Consulting et Chercheur à l’Institut Charhar à Pékin.

 

URL de l'article:  http://www.chine-info.com/french/Rs/In/20200629/355026.html