Comment comprendre tous ces trucs sur la Chine

par Caitlin Johnstone pour Entelekheia, le 21 mai 2020

traduit de l'anglais par Corinne Autey-Roussel

La Chine fait désormais l’objet d’une actualité quotidienne. Aujourd’hui, ici en Australie, nous faisons semblant d'être offensés parce qu’un tabloïd chinois a publié une accusation selon laquelle notre nation est un « kangourou géant qui sert de chien aux États-Unis », même si nous savons tous que c'est totalement vrai, et que nous devrions être flattés qu’ils aient au moins dit « géant ». Avant cela, nous nous étions indignés au sujet d’un droit de douane élevé sur l’orge d’Australie imposé par la Chine, en réponse à notre collaboration à la campagne de propagande anti-chinoise des États-Unis, où il s’avère de plus que Washington nous a escroqués. [Dès que la Chine a imposé ses taxes douanières sur l’orge à l’Australie pour sa collaboration avec la campagne de diffamation des États-Unis, ces derniers se sont précipités pour signer un accord commercial avec la Chine, dans le dos de l’Australie, pour lui vendre de l’orge américain à la place, NdT].

 

Le sentiment anti-chinois s’est développé en Australie, aidé par nos médias dominés par Murdoch [médias conservateurs ultra-libéraux, NdT], par des think tanks financés par le Département d’État américain et explicitement orientés sur la manipulation de la communication sur la Chine, et bien sûr par notre propre racisme et notre xénophobie enracinés. En raison de sa situation géographique, l'atout militaire et de renseignement des États-Unis connu sous le nom d’Australie a été un point chaud de la campagne de propagande orchestrée par les États-Unis contre la nation la plus puissante et la moins alignée du monde.

La Chine fait constamment l’actualité, et ce n’est pas à cause d’un virus. Ce n’est pas à cause de Hong Kong, ce n’est pas à cause des Ouïgours, ce n’est pas à cause de violations de propriété intellectuelle ou d’une quelconque autre excuse prise dans le ramassis de prétextes qui vous est désormais servi tous les jours pour vous expliquer qu’il faut considérer la Chine comme un nouvel Hitler.

La Chine fait tout le temps la une des journaux à cause de l’impérialisme.

Pour comprendre ce qui se passe avec la Chine et pourquoi les médias « d’information » ne cessent de vous envoyer des crochets du droit au visage avec des histoires sur l’horreur de la situation, il vous suffit de saisir deux points fondamentaux :

Point 1 : Nous sommes au milieu d’une troisième guerre mondiale au ralenti entre l’alliance de puissances menée par les États-Unis et les nations qui ont résisté à leur volonté de les absorber.

Une alliance informelle d’oligarques apatrides qui utilisent des gouvernements comme des armes s’est assurée le contrôle d’un groupe étendu de nations, une sorte d’empire dont la puissance économique et militaire est grosso modo centrée sur les États-Unis. Afin de gagner plus de pouvoir et d’assurer son hégémonie permanente, cet empire oligarchique doit continuer à s’étendre en absorbant plus de nations, et en les brutalisant si elles résistent. La Chine est de loin la plus puissante des nations non absorbées, suivie par la Russie en lointaine deuxième position, et par l’Iran en lointaine troisième position.

Les armes nucléaires rendent une autre guerre mondiale « chaude » indésirable, et celle-ci prend donc la forme de contrôle de ressources, de guerre économique, de coups d’État, d’armement de milices d’opposition pour en faire des armées par procuration, d’expansion de présence militaire dans des régions géostratégiques-clés au prétexte de lutte contre le terrorisme, et d’ « interventionnisme humanitaire », les invasions terrestres à grande échelle classiques n’étant utilisées qu’en dernier recours, et seulement après avoir obtenu une approbation internationale suffisante pour assurer la perpétuation de la cohésion de l’alliance de puissances de type empire.

Mais l’objectif final est le même que celui d’une guerre mondiale classique : amener l’autre partie à capituler et à se soumettre, dans ce cas à une absorption dans le blob impérial. Après la chute de l’Union soviétique, l'orthodoxie dominante dans les structures de pouvoir américaines s’est énoncée comme suit : les États-Unis doivent maintenir à tout prix une hégémonie unipolaire pour assurer un « ordre mondial libéral » (même s’il leur faut pour ça abandonner les valeurs « libérales » chaque fois que c’est opportun). Depuis lors, l’ordre du jour est la domination mondiale et la lente et asphyxiante subversion de quiconque se met en travers du chemin.

 

Point 2 : Des hautes doses de propagande servent à soutenir cette guerre mondiale.

Dans une guerre conventionnelle, chaque partie a des objectifs militaires clairs que tout le monde comprend, et les armes sont naturellement déplacées en fonction de ces objectifs. Dans cette étrange guerre mondiale au ralenti, personne ne comprend ce qui se passe en dehors des grandes puissances et des observateurs très attentifs. Les différents programmes contre les gouvernements d’Iran, du Venezuela, de Russie, de Syrie, de Chine, etc, semblent différents et sans rapport entre eux lorsqu’on les examine individuellement, et de fait, vous verrez différentes factions politiques soutenir certains de ces programmes, mais pas d’autres. La seule chose qui unifie cette action au ralenti pour la destruction et l’absorption de toutes les nations non absorbées est la construction soignée de récits de propagande.

La façon dont ces récits de propagande fonctionnent est simple. Il ne viendrait jamais à l’esprit des citoyens de base qu’une nation située à l’autre bout de la planète, et qui fait sa vie comme elle l’entend, doive être sanctionnée, subvertie et mise au pas. Les oligarques impérialistes qui possèdent la classe politique/médiatique s’assurent donc que tout le monde soit nourri de récits taillés sur mesure, à chacun selon sa propre chambre d'écho idéologique, afin d’empêcher toute inertie de l’opinion publique interne. Une fois qu’un consensus suffisant a été atteint sur le fait que Saddam/Kadhafi/Morales/Assad/Maduro/etc « doit partir », la campagne de subversion, de sabotage et d’absorption de ce gouvernement peut être intensifiée en toute sécurité.

Si vous pouvez comprendre les points un et deux, vous pouvez comprendre tout ce qui se passe avec la Chine, et tout ce qui continuera à se passer. Des récits de propagande seront déployés avec une agressivité croissante, avec pour objectif à long terme d’aliéner la Chine de ses alliés, de nuire à ses intérêts économiques, et d’empêcher son ascension vers un véritable statut de superpuissance, ainsi que la création d’un monde multipolaire.

Et le plus drôle, c’est que rien de tout cela n’est nécessaire. Les Occidentaux ont été délibérément nourris de propagande destinée à faire croire que la Chine veut prendre le contrôle du monde et qu’elle le fera si elle n’est pas tenue en laisse par les États-Unis, alors qu’ils ont entouré la Chine de bases militaires, dans un acte d’agression extrême que les États-Unis eux-mêmes ne toléreraient jamais de la part d’un gouvernement non absorbé. Mais si vous interrogez des gens sur la façon dont ils savent que la Chine veut prendre le contrôle du monde, vous constaterez qu’ils n’ont aucune preuve de ce qu’ils avancent.

Ils vous diront que la Chine a un gouvernement autoritaire qui persécute les minorités ethniques et religieuses, prétendant à tort que cela signifie qu’ils veulent s’emparer du monde et infliger la même chose à tous les autres. Ils vous diront que la Chine a cherché à étendre son contrôle sur certains territoires directement adjacents, prétendant à tort que cela signifie qu’elle veut dominer la planète militairement, comme le font actuellement les États-Unis. Ils citeront des preuves selon lesquelles la Chine cherche à devenir une superpuissance et à créer un monde multipolaire (ce que la Chine admet ouvertement) et prétendront à tort que c’est la preuve qu’elle cherche à imposer une hégémonie unipolaire au monde. Ils ne seront en mesure de produire aucune preuve concrète et solide d’une quelconque volonté de la Chine de s’emparer du monde, de censurer votre internet et de vous retirer vos droits, car de telles preuves n’existent pas. Il s’agit d’une croyance totalement vide de preuves, qui découle d’une manipulation agressive de leur esprit.

« Une fable qu’il convient de dissiper est que la Chine vise à remplacer l’Amérique et à diriger le monde. Ce n’est pas le cas », a déclaré le spécialiste chinois en capital-risque et en sciences sociales Eric Li dans le documentaire de John Pilger 'The Coming War on China'. « Tout d’abord, les Chinois ne sont pas si bêtes. L’Occident, avec ses racines chrétiennes, s’est donné pour mission de convertir les autres peuples à ses croyances. Les Chinois ne pensent pas comme cela. C’est juste que – je ne minimise pas la culture occidentale, je ne fais que souligner la nature inhérente, l’ADN de deux cultures différentes – les Chinois ont construit leur Grande Muraille il y a deux mille ans pour maintenir les barbares dehors, pas pour les envahir ».

Je dirais que c’est un bon résumé. Après que les nations européennes aient tenté de conquérir la planète, il y a seulement quelques générations, au nom de la diffusion du christianisme et de la « civilisation », nous projetons nos valeurs dévoyées colonialistes résiduelles sur une nation dont la culture ne l’a jamais conduite à une telle folie.

Une domination violente de la planète entière, pour l’éternité, fondée sur la vague suspicion qu’un autre pays pourrait vouloir vous faire la même chose n’est pas un signe de bonne santé mentale, et n’est pas une option. Les nations non absorbées devraient être autorisées à rester non absorbées, les nations absorbées devraient voir leur souveraineté restaurée (ou dans le cas de l’Australie, lui être accordée pour la première fois de son existence en tant que nation), et l’Amérique devrait commencer à agir comme un pays normal. La notion de « pré-crime » relève de la science-fiction dystopique lorsqu’elle est appliquée à des individus, et il n’y a aucune raison pour que la perspective d’attaquer et de détruire sur la base d’hypothétiques infractions futures soit moins insensée à l’échelle internationale.

Il n’y a jamais eu la moindre raison de faire du coronavirus un sujet de conflit international alors qu’il pourrait tout aussi facilement être un sujet de coopération internationale, et en effet, la coopération est ce que nous devrions tous faire, pour ce virus et pour tout le reste. Mettons fin à cette bizarre guerre mondiale au ralenti et dirigeons-nous vers la raison.

 

URL de l'article:
https://caitlinjohnstone.com/2020/05/21/how-to-understand-all-this-china-stuff/

traduit par Corinne Autey-Roussel pour Entelekheia, publié le 23 mai 2020
URL de l'article:
http://www.entelekheia.fr/2020/05/23/comment-comprendre-tous-ces-trucs-sur-la-chine/