A Shanghai, une centrale à charbon investit dans le procédé "Capture et Stockage du CO2"

par Élisabeth Martens, le 12 janvier 2020

Le principal ennemi écologique de la Chine est coriace, c'est le charbon. Son industrie est la plus grande et la plus polluante du monde. Chaque année, la Chine brûle plus de 3 milliards de tonnes de charbon, ce qui représente plus de la moitié de la consommation mondiale et le triple des capacités de production des États-Unis.

 

 

En Chine, 1800 voitures sont construites toutes les heures, 480 tonnes d'ordures sont déversées toutes les minutes et 100 tonnes de charbon sont brûlés toutes les secondes. Pourtant un Chinois moyen ne consomme que le cinquième de l’électricité utilisée par un Américain.

"Savoir si le monde peut devenir écologique est le grand défi actuel, et la Chine est au cœur du problème", dit Julio Friedman, un scientifique expert dans la collaboration entre les États-Unis et la Chine pour le développement des énergies propres. "Nous ne pourrons pas éviter la catastrophe environnementale, à moins que la Chine ne mette en place une économie verte efficace. Un partenariat entre la Chine et les États-Unis est essentiel dans ce sens"

Les mines de charbon sont un pilier économique de la Chine et un casse-tête environnemental. "Le charbon est la colonne vertébrale de l'économie chinoise, c'est 70% de son énergie. La Chine possède la troisième plus grande réserve de charbon du monde, après les États-Unis et la Russie. C'est dans leur héritage, ça leur appartient", confirme Friedman.

La combustion du charbon asphyxie les villes chinoises, au même titre que le mercure et d'autres produits toxiques qui contaminent la terre et les rivières. Plus de 200 millions de Chinois habitent désormais dans des villes qui ont un niveau de pollution alarmant, voire dangereux.

"Le charbon, c'est une horreur, mais c'est bon marché et il y a en a en abondance. La Chine émet un quart des gaz à effet de serre (GES) liés aux changements climatiques, ce qui augmente la température globale de la terre. La combustion du charbon est la première source d'émission de GES. Si nous n'arrivons pas à résoudre cette question, nous aurons de vrais problème pour l'atmosphère et pour la planète elle-même".

La Chine construit une nouvelle usine de charbon par semaine... mauvaise nouvelle? Cela comporte aussi un aspect positif : ces nouvelles centrales sont équipées de technologies ultra modernes, elles sont bien plus performantes que les vieilles usines polluantes.

"En Chine a lieu ce que le gouvernement appelle une 'campagne d'élimination des cheminées': au lieu d'avoir 20 petites cheminées vieilles, inefficaces et très polluantes, on en a une seule très grande qui surplombe une usine à charbon très rentable", commente Jonathan Watts qui vit et travaille en Chine depuis huit ans comme journaliste spécialiste de l'environnement.

Mais ce n'est pas assez, car l'appétit de la Chine en énergie est si grand qu'éliminer les anciennes usines au profit de nouvelles n'arrêtera pas l'augmentation des émissions de carbone." L'efficacité des nouvelles centrales à charbon génère des gains, mais ceux-ci ne font pas le poids face à l'expansion économique."

En 20 ans, les 20 millions d'habitants de Shanghai ont triplé leur consommation d'énergie. A proximité de la mégapole, une centrale à charbon hyper performante a été conçue pour fournir assez d'électricité pour 10% des besoins quotidiens de ses habitants. La combustion de charbon dégage quelques 16 millions de tonnes de dioxyde de carbone par an. L'objectif est que de moins en moins de CO2 s'échappe dans l'atmosphère, ceci grâce au procédé CSC: "capture et stockage du CO2". Ce processus brûle le charbon à des températures extrêmes pour produire de l'énergie, mais au lieu de libérer le CO2 dans l'atmosphère, celui-ci est capturé et stocké, et ce pour des usages étonnants.

 

 

 

Yang Min, employée de l'usine, raconte : "voici derrière moi le centre de collecte du CO2. Ces deux grosses sphères sont utilisées pour son stockage, son taux de pureté est de 99,99%. Les réserves en CO2 serviront à faire de la bière, du soda, de la glace sèche, des extincteurs, et de la fumée pour les effets de scène."

Extraire le gaz carbonique du charbon et le transvaser dans des sodas semble être un bon recyclage. Mais seulement 1,5% du CO2 produit par cette usine est utilisé pour les sodas et la bière. Il en reste beaucoup à recycler. Le reste est renvoyé d'où il vient. Transporté dans des pipelines, le CO2 est stocké dans des formations géologiques profondes ou dans d'anciens champs de pétrole et de gaz naturel. En le remettant là d'où il vient, le CO2 peut être stocké en permanence dans le sol. Il est absorbé par la roche et les eaux salées, et ne peut plus s'échapper dans l'atmosphère. Ces deux procédés, de recyclage et de capture du CO2, font de cette centrale un modèle de haute technologie.

 

 

"La technologie utilisée ici semble être l'une des plus avancée et des moins chère du monde. On dirait que les Chinois ont développé un système d'envergure inégalée", commente Jonathan Watts.1

Inégalée, peut-être, mais le procédé est loin d'être parfait. Outre que l'usine laisse encore échapper de l'oxyde d'azote, du mercure et d'autre particules qui polluent les rivières et le sol, le procédé CSC reçoit de nombreuses critiques de la part d'autres scientifiques :

-un risque accru de séismes: l’incorporation de fluides liquides ou gazeux a pour effet d’augmenter la pression à l’intérieur des roches. Dans les régions où la croûte terrestre est fragile, c’est-à-dire à proximité d’une faille préexistante et potentiellement active, ce regain de tension peut suffire à déclencher un tremblement de terre. Par la suite, ces séismes provoqueraient la rupture en certains points des structures géologiques et ainsi libéreraient le CO2 emprisonné dans les couches supérieures, parfois même dans l’atmosphère réduisant ainsi tout l’effort entrepris.2

-la disponibilité des lieux de stockage du CO2 mais surtout l’adéquation entre ces lieux de stockage et les sources d’émissions est une autre limite. La majorité des émissions de CO2 provient de la Chine, des États-Unis et de l’Europe alors que la majorité des couches géologiques profondes propices à son stockage se trouve au Moyen Orient et en Afrique du Nord.

-Le processus de séparation, de purification et de stockage du CO2 est d’autre part extrêmement énergivore et consommateur d’eau. L’énergie représente 1/3 des coûts totaux d’un projet CCS. Une centrale équipée de CCS peut voir ses prélèvements et sa consommation d’eau doubler par rapport à une centrale classique. Or le changement climatique va impacter négativement la ressource en eau, la rendant plus rare, ce qui entraînera une compétition accrue pour son usage3.

-un coût élevé: un surcoût de fabrication des centrales, surcoût initial parfois très important (40% en moyenne selon IFP EN). Ce coût est répercuté sur l’énergie produite. Et un surcoût d’exploitation : l’étape de capture du CO2 est coûteuse en énergie. On parle de pénalité énergétique. Pour une centrale électrique, cette pénalité énergétique peut représenter plus de 25% de l’énergie produite4.

Malgré ces diverses critiques à l'encontre du procédé CSC, le GIEC recommande que les centrales à charbon s'équipent de ce système, tout en prévoyant que la part du charbon devra chuter à hauteur de 1% à 7% du mix énergétique mondial en 2050 (contre 27% en 2016) pour atteindre la cible de 1,5°C de réchauffement à l'horizon 2030 et la neutralité carbone aux alentours de 2050.5 Avec la construction de centrales à charbon hyper performantes équipées de CSC, la Chine apporte une contribution pour atteindre cet objectif.

 

 Notes :

1 https://www.youtube.com/watch?v=SQrwfn-cvwo&t=2126s, "Chine la Révolution verte"

2 http://blog.bio-ressources.com/2012/07/10/la-methode-du-stockage-geologique-du-co2-secouee-par-le-risque-de-declenchement-de-seismes/

3 https://investors-corner.bnpparibas-am.com/fr/investissement/capture-co2-stockage/

4 https://www.connaissancedesenergies.org/fiche-pedagogique/capture-et-stockage-du-co2-csc

5 https://www.connaissancedesenergies.org/rapport-du-giec-les-chemins-energetiques-vers-un-monde-15degc-de-rechauffement-181008#notes