Chine, le Livre Blanc sur la biodiversité

par Élisabeth Martens, le 22 octobre 2021

La Chine publie un « Livre blanc » sur la biodiversité intitulé « Conservation de la biodiversité en Chine ». Le « pays du milieu » s'est-il attaqué à la perte de sa biodiversité et à la dégradation de ses écosystèmes? Oui, dit le Livre blanc en ajoutant que cette lutte se déroule dans le cadre d'une philosophie défendue par le président Xi Jinping en personne, celle de « l'harmonie entre la nature et l'humanité ».

 

parution du « Livre blanc » sur la biodiversité
parution du « Livre blanc » sur la biodiversité

 

Le Livre blanc, publié début octobre 2021 par le Bureau de l'information du Conseil des Affaires d’État, déroule sur un tapis rouge « les efforts constants pour établir et améliorer les politiques, lois et règlements sur la conservation de la biodiversité et pour élaborer des programmes et plans d'action à moyen et long terme fournissant des garanties institutionnelles à la conservation et la gestion de la biodiversité », dixit XinHua, l'agence de presse officielle du gouvernement chinois... et, inévitablement, on assimile le-dit « Livre blanc » à une « fabrique de consentement » : on ne se méfie jamais assez des allégations étatiques du PCC, n'est-il pas? D'ailleurs, la « littérature grise » des « livres blancs » n'est-elle pas destinée à convaincre un public candide au moyen de « documents officiels » couverts de « statistiques irréfutables » issus des fameuses instances gouvernementales?

Ne peut-on pas penser aussi que ce Livre blanc rassemble des études menées par des spécialistes – biologistes, agronomes, environnementalistes, climatologues, etc. - quant à l'état des écosystèmes qui, dans ce pays qui équivaut à un continent, sont extrêmement variés. Ne peut-on penser qu'il rassemble des rapports précis émanant du ministère chinois de l'écologie et de l’environnement, en vue de répondre aux demandes de plus en plus pressantes des citoyens chinois concernant leur environnement ?

La parution du Livre blanc, "Conservation de la biodiversité en Chine", est venue s'intercaler entre deux événements majeurs. D'une part, le Congrès mondial de l'UICN (Union internationale pour la conservation de la nature) qui eut lieu du 3 au 11 septembre 2021 à Marseille. Ce grand rendez-vous mondial axé sur la biodiversité avait pour objectif de déboucher sur un accord concernant la protection de la nature (le « cadre post-2020 »). Cet accord devrait être pris lors du second événement majeur sur la biodiversité, la COP15 prévue. Les deux événements se passe en Chine en deux temps, Covid oblige. Une première série de conférences par vidéo est en cours pour le moment, du 11 au 24 octobre. Une seconde partie en « life » se tiendra au printemps 2022 à Kunming, capitale du Yunnan. Tant l'officiel « Livre blanc » que ces rendez-vous internationaux indiquent que la Chine ne veut plus être tenue à l'écart des prises de décisions concernant la protection du vivant.

 

Ouverture de la COP15 sur la biodiversité à Kunming
Ouverture de la COP15 sur la biodiversité à Kunming

 

Bien qu'elle était encore considérée comme un « pays en voie de développement » au début du 21ème siècle, la Chine n'a pas été avare en efforts fournis pour répondre aux objectifs mondiaux du « Plan stratégique pour la biodiversité 2011-2020 » établi à Aïchi par les Nations Unies. Elle s'est engagée à persévérer en vue d'atteindre les Objectifs de développement durable établis par les Nations unies à l'horizon 2030, sans oublier la promesse faite par le président Xi d'une « neutralité Carbone pour 2060 ». Le Livre blanc est une mise au point des multiples contributions de la Chine à l'effort mondial de conservation de la nature, une mise au point qu'elle a voulu rendre publique et qui affirme sa volonté de participation à la protection de la planète.

 

Un win-win entre les « officiels » et le public

En 2010, des textes officiels sur la « Stratégie nationale et le plan d'action sur la conservation de la biodiversité de la Chine (2011-2030) » ont été publiés. Depuis lors, la Chine n'a cessé d'améliorer son système juridique fournissant des garanties institutionnelles à la conservation et à la gestion de la biodiversité, ceci dans le but de garantir un meilleur environnement à ses 1,6 milliards d'habitants. Après l'entrée en vigueur en janvier 2015 d'une nouvelle loi sur la protection de l'environnement, de plus en plus de plaintes d'intérêt public en matière d'environnement ont émergé (via une application sur Wechat, réseau social le plus populaire en Chine).Le « ministère de de l'écologie et de l’environnement » amène une amélioration continue des lois encadrant l'écologie et la protection environnementale a encouragé la participation judiciaire à la gouvernance environnementale.

La conservation de la biodiversité a été intégrée au rang de « stratégie nationale », le gouvernement l'a intégrée dans les plans à moyen et à long terme de toutes les provinces et régions autonomes du pays, et dans tous les domaines. Il a mis en place des réseaux de surveillance et d'observation de la biodiversité, ceci en impliquant les chercheurs et les scientifiques, mais aussi le public local. Par ex., en novembre 2020, le projet de révision de la loi sur la protection des espèces sauvages a été ouvert aux suggestions du public. Les Chinois se sont sentis de plus en plus concernés par la problématique environnementale, des groupes de citoyens se sont constitués en ONG et autres mouvements associatifs revendiquant des actions concrètes de la part du gouvernement.

Le renforcement de l'application des lois a permis la mise en œuvre des plans d'action et la supervision des programmes de protection des espèces sauvages menacées, tel le chat sauvage du désert, le léopard des neiges, le cerf à lèvres blanches, le paon spicifère, le macaque à joues blanches, etc. « L'article 58 de la nouvelle loi sur la protection de l'environnement de la République populaire de Chine, entrée en vigueur en janvier 2015, donne aux organisations sociales le droit d'intenter des actions en justice relevant de l'intérêt public en matière d'environnement », explique le directeur général de l'ONG environnementale chinoise Friends of Nature. Hélas, il est vrai que, malgré les actions menées par les ONG et les mouvements de protection de la nature, certaines espèces emblématiques de la Chine semblent avoir totalement disparu, comme le dauphin du Yangzi qu'on appelait autrefois « la déesse du fleuve ».

Outre les adaptations au niveau juridique, le gouvernement s'est aussi vu acculé par le public à intensifier les apports financiers quant à la protection de l'environnement et au développement technologique des énergies vertes. L'émulation et la coordination entre instances gouvernementales et le public associatif sont devenues une réalité de terrain, si bien que des résultats gagnant-gagnant en découlent tant en matière de conservation de la biodiversité qu'en termes de développement durable de haute qualité.

 

Écologie et économie, les deux jambes d'un développement durable

Bien qu'elle considère la biodiversité comme « le fondement, l'objectif et les moyens du développement durable » (dixit le « Livre blanc »), la Chine reste à l’affût des opportunités de développement économique. Elle n'a nullement l'intention de sacrifier sa croissance économique aux exigences écologiques et elle n'entend pas se projeter dans un programme de « décroissance » tel que prôné par certains écologistes et économistes occidentaux qui y voient une porte de sortie à la crise environnementale. La Chine ambitionne d'allier la protection de l'environnement et le développement économique, on pense aux fermes solaires, aux parcs à éoliennes, à l'énergie géothermique et à hydrogène.

Par exemple, Sinopec accélère le développement de l’énergie hydrogène pour créer une entreprise chimique de premier plan dans le domaine de l’énergie propre. Elle prévoit de construite un millier de stations de ravitaillement en hydrogène au cours des cinq prochaines années. Autre exemple de cette stratégie : la société chinoise, China General Nuclear Power Group (CGN). Elle est l’une des rares sociétés énergétiques à se concentrer uniquement sur la production des énergies non fossiles, leader dans le secteur des énergies nouvelles, de la conservation énergétique et de la protection de l’environnement.

Station à hydrogène
Station à hydrogène

 

La Chine crée aussi de nouveaux modèles de protection de la biodiversité par la re-mise en activité des ressources naturelles locales. Par ce phénomène de « résilience », les écosystèmes meurtris ont l'occasion de se reconstituer. D'autres peuvent devenir des candidats au captage de carbone, on pense évidemment à la « Grande muraille verte » qui s'étend sur des milliers de kilomètres au sud du désert de Gobi, mais aussi à la reconversion de terres cultivées en zones forestières comme sur le plateau de Loess. Les mangroves et les herbiers océaniques représentent aussi des surfaces non négligeables de captage du carbone. Au cours des années 2000, 16 projets ont été lancés par le « China Mangrove Conservation Network ». Plus de 40 ONG, groupes de bénévoles, communautés côtières, écoles et instituts de recherche se sont joints au réseau. 200 000 étudiants ont participé aux programmes d'éducation au développement durable et 3 000 bénévoles ont contribué au reboisement de plus de 150 000 mangroves.

Parallèlement, la Chine promeut des modes de vie et de travail plus sains. L'éco-tourisme commence à faire parler de lui, surtout dans les régions montagneuses de l'ouest. Une « agriculture urbaine » s'installe timidement dans certaines mégapoles. Celles-ci, pour la plupart, répondent à un lifting de reverdissement avec de nouveaux parcs, zones vertes, immeubles végétaux. Des cités-éponges (entre autres à Shenzhen) voient le jour, des villes-forêts comme la Liuzhou Forest City dans le Guangxi, des rivières et des canaux sont désenclavés (comme à Shanghai), etc. Ces essais sont loin d'être tous des réussites, mais ils ont le mérite d'ouvrir les esprits aux innovations et de faire avancer les recherches.

Liuzhou Forest City
Liuzhou Forest City

 

On peut trouver un nombre considérable de contre-exemples à ce tableau presque idylliques, ils feront le plaisir des sinophobes, une légion très prometteuse chez nous. Les centrales électriques à charbon est le premier exemple qui vient à l'esprit, mais quand on en parle, on ajoute rarement que les anciennes centrales ferment leurs portes les unes après les autres pour laisser la place à de nouvelles qui doivent répondre à des exigences environnementales drastiques. Comme contre-exemple, on peut aussi citer les méga-barrages qui, bien que produisant de « l'énergie verte », sont très controversés, autant en Chine que chez nous puisqu'ils impliquent le déplacement de populations, des écosystèmes noyés, des espèces qui disparaissent, sans parler des dangers que représentent ces constructions monstrueuses lors des catastrophes naturelles de plus en plus fréquentes en raison des changements climatiques.

 

Les lignes rouges et les réserves naturelles

Cependant, la Chine a pris ses distances avec l’obsession de l’expansion économique. Elle a évolué vers un modèle plus durable qui fait « primer la qualité sur la quantité ». Pour concrétiser la lutte contre la dégradation de son environnement, elle a mis en place le dispositif des « lignes rouges » : chaque province chinoise et chaque région autonome a dû tracer une « ligne rouge » écologique autour des zones dont la fonction écologique est essentielle en matière de conservation de la biodiversité, des sols, de l’écosystème et des ressources forestières, maritimes ou en eau. Par exemple, elle a placé 25% de son territoire hors de portée des promoteurs. C'est un message explicite que le développement économique ne doit pas franchir la ligne. « Le développement forcené au prix de l’environnement est révolu », a déclaré le ministre de l'environnement.

Le dispositif des « lignes rouges » pour la conservation écologique est une innovation institutionnelle importante dans la réforme éco-environnementale de la Chine. Il est même plus que cela, d'une part, il est le signe manifeste que le socialisme chinois ne s'est pas fait engloutir par les appétits capitalistes de la nouvelle classe des super-riches et, d'autre part, que ce socialisme a la volonté de définir un axe « vert » à sa politique. La Chine a été le premier pays à proposer cette stratégie des « lignes rouges », or elle a été sélectionnée par les Nations unies comme l'un des 15 meilleurs projets de protection de la biodiversité fondés sur la nature elle-même. Il s'agit d'un réel espoir pour la planète entière.

Sanjiangyuan
Sanjiangyuan

 

Le Livre blanc sur la biodiversité nous apprend par ailleurs que la Chine a établi environ 10.000 zones protégées de divers types (zones humides, forestières, semi-désertiques, désertiques, côtières, etc). L’ensemble des zones protégées représente environ 18% de la superficie territoriale du pays ; de cette manière, 90% des types d'écosystèmes terrestres et 71% des espèces sauvages clés sont placés sous une protection efficace. Depuis 2015, la Chine a également créé 10 parcs nationaux qui font l'objet d'une gestion unifiée, d'une protection globale et d'une restauration systématique. Le plus vaste d'entre eux est situé sur le haut plateau tibétain, à « Sanjiangyuan », ou « Source des trois fleuves », à savoir le Yangzi, le Jaune et le Lancang (Mékong). D'aucun prétendent qu'une superficie considérable de ces parcs nationaux ne relèvent que de conventions écrites et ne répondent pas à des réalités de terrain, sans doute par manque de personnel et de moyens mis à disposition. A nouveau, c'est possible (bien que cela reste à vérifier sur place), il n'empêche que ces « papers parks » traduisent une volonté de la part de la Chine d’œuvrer dans le sens de la protection de la biodiversité.

Tous ces exemples et contre-exemples indiquent que la Chine n'a pas fini avec ses contradictions. Mais si elle apparaît comme un pays de « transitions ambivalentes », c'est à l'instar de tous les autres pays engagés dans cette course folle contre le réchauffement climatique. La Chine est certes loin d'avoir rempli les 20 Objectifs d'Aichi, mais elle a ouvert des voies pour se réapproprier une « belle Chine » : « la Chine met sérieusement en œuvre la politique fondamentale de l’État en matière de conservation des ressources et de protection de l'environnement, et encourage les progrès écologiques pour construire une belle Chine », a déclaré Zhang Jun, représentant permanent de la Chine auprès des Nations Unies, appelant à la coopération internationale et au multilatéralisme dans la lutte contre les changements climatiques.