Pour Paul Leadley, co-auteur du Giec, « restaurer la biodiversité, c’est possible ! »

Propos receuillis par Marine Lamoureux pour La Croix, le 15 septembre 2020

À l’ouverture de son assemblée générale mardi 15 septembre, l’ONU devrait lancer un appel pour la nature, avant un sommet dédié, le 30 septembre. Pour l’écologue Paul Leadley, professeur d’écologie à l’université Paris-Saclay et l’un des auteurs du dernier rapport mondial de l’IPBES1, la science montre que l’on peut stopper l’érosion des écosystèmes. À condition de transformer notre manière de produire et de consommer.

 

Représentation du buisson du vivant (ou arbre du vivant) au Musée des Confluences (Lyon). L’évolution de la vie est loin d’être linéaire. À l’image d’un buisson qui se développe dans toutes les directions, ses innombrables ramifications parties d’un point d’origine commun, s’arrêtent ou se diversifient au cours du temps. L’être humain n’est qu’une infime et très récente brindille du buisson. Son origine évolutive est représentée par la ligne rouge. Les organismes actuels correspondent aux extrémités de chaque brindille, un peu à l’image des coraux dont seule l’extrémité est vivante. Tout l’intérieur du buisson représente les espèces disparues.

 

La Croix : Un état des lieux de la biodiversité mondiale1 doit être publié à l’ouverture de l’Assemblée générale des Nations unies, mardi 15 septembre. Quels en sont les principaux enseignements ?

Paul Leadley : Ce rapport, qui s’appuie à la fois sur les conclusions de l’IPBES et sur les déclarations des pays, confirme que l’état de la biodiversité mondiale se dégrade, avec un déclin important des populations d’espèces. Seuls six des 20 objectifs établis à Aïchi [pour la période 2011-2020, NDLR] ont été atteints, et souvent partiellement. En clair, le bilan n’est pas bon. Mais ce n’est pas le seul enseignement du rapport. Les scientifiques impliqués, dont je fais partie, montrent aussi qu’il est possible de stopper cette érosion et, mieux, de restaurer les écosystèmes. C’est un enjeu absolument majeur, car la nature nous rend d’immenses services : pour l’accès à la nourriture, la qualité de l’eau, le bien-être, etc.

En dépit d’un déclin accéléré des espèces et des milieux, la situation n’est donc pas irréversible ?

P. L : En effet. Mais le défi est de taille. Et l’on ne s’en sortira pas en érigeant seulement de grands objectifs, comme 30 % d’aires protégées au niveau mondial. Il faut, bien sûr, favoriser ces aires mais la clé se trouve aussi dans notre manière de vivre en dehors. Il faut transformer notre façon de produire et de consommer, en particulier dans le domaine alimentaire.

Le constat est fait de longue date, comment procéder concrètement ?

P. L : Prenez la pêche. À l’heure actuelle, plutôt que de privilégier une pêche durable, nous épuisons la ressource et notre capacité, à l’avenir, à nous nourrir grâce à la mer. Bien sûr, à court terme, ces pratiques sont rentables, génèrent des emplois et des revenus mais c’est une vision de courte vue. D’autant que le système fonctionne grâce aux subventions publiques. Plutôt que de soutenir ces pratiques, cet argent devrait servir à amortir le coût social d’une transition vers la pêche durable. Il y aura sans doute des pertes d’emplois au début – comme il y en aura de toute façon si l’on ne fait rien. Et, on le voit, il y a des solutions.

Donnez-nous un exemple de transition réussie…

P. L : L’Afrique du Sud. Ces dernières années, le pays a pris acte des désastres engendrés par la surpêche pour son économie et a réagi, à travers un plan pour la pêche durable. Cette politique publique, qui s’est appuyée à la fois sur les marins-pêcheurs et les scientifiques, a porté ses fruits. On constate depuis une diminution des prises de poissons non souhaitées – jusque-là rejetées à la mer – une gestion plus équilibrée de la ressource et une moindre mortalité des oiseaux marins. Ce type d’approche doit aussi être encouragée dans le domaine agricole, pour favoriser des pratiques moins gourmandes en eau, en pesticides ou en engrais. C’est aussi important, voire davantage, que l’extension des aires protégées.

Responsable du déclin de la biodiversité marine, l'Homme pourrait pourtant la restaurer d'ici 2050
Responsable du déclin de la biodiversité marine, l'Homme pourrait pourtant la restaurer d'ici 2050

 

Avec la tenue du Congrès mondial pour la nature en France, en janvier, puis la COP biodiversité en Chine, en mai, 2021 peut-elle être une année charnière ?

P. L : Oui, il y a plusieurs raisons d’être optimiste. Je pense d’abord à l’implication des industriels. L’importance des enjeux de biodiversité a émergé dans les entreprises, notamment grâce au travail scientifique mené par l’IPBES. Il y a une vraie prise de conscience. Prenez l’industrie du luxe, par exemple. Ses produits de beauté, leur qualité, dépendent directement de la nature. Il y a aussi des enjeux d’image. Des dirigeants s’engagent. L’autre grand levier, ce sont les attentes des citoyens. Regardez la percée des écologistes en France aux municipales. Les États, qui seront en première ligne de ces rendez-vous diplomatiques, ne peuvent rester indifférents aux pressions de la société civile. C’est vrai en France comme ailleurs, notamment en Chine.

En tant que pays hôtes de ces rendez-vous internationaux, les deux pays seront de fait en première ligne sur ces questions…

P.L : Oui, mais la Chine a commencé à bouger il y a des années, sous la pression des habitants, qui ne supportaient plus de vivre dans un environnement extrêmement pollué. Aujourd’hui, le pays mène des actions volontaristes de plantations d’arbres, comme sur le plateau de Lœss aux abords du Fleuve Jaune, mais aussi de restauration des terres à très grande échelle. Pour cela, le pouvoir subventionne les agriculteurs afin qu’ils laissent la nature reprendre ses droits dans certaines zones.

En France, les bons résultats des écologistes n’ont pas empêché le gouvernement de revenir sur l’interdiction des néonicotinoïdes.

P. L : Cela illustre bien les défis d’une transition socialement juste. Bien sûr, il faut tenir bon sur les mesures structurantes. Mais, dans le même temps, il faut proposer des alternatives aux producteurs. Des solutions acceptables, qui, en l’occurrence, les aident à s’engager sans dommage sur la voie de l’agroécologie.

 

 

 

Notes :

1. En mai 2019, l’IPBES, la Plate-forme intergouvernementale sur la biodiversité et les services écosystémiques, a rendu public une évaluation de référence de la biodiversité: le « Giec de la biodiversité »

2. Le « GBO-5 » pour global biodiversity outlook, qui servira de base pour établir un nouveau cadre décennal d’action 2021-2030